L’étincelle

Yves-François Blanchet a blêmi sous l’injure quand la modératrice du débat en anglais l’a accusé de soutenir des « lois discriminatoires » sur la laïcité et la langue, mais elle a peut-être en effet provoqué l’étincelle qui permettra au Bloc québécois de relancer une campagne cahoteuse.

D’entrée de jeu, plusieurs se demandaient pour quelle raison on avait confié ce rôle à la présidente d’Angus Reid, Shachi Kurl, qui avait plutôt les allures d’une militante, alors que les médias du Canada anglais ne manquent pas de journalistes chevronnés.

Qui plus est, les questions adressées aux chefs des différents partis avaient été révisées avec le plus grand soin et approuvées par le Groupe de diffusion des débats. De toute évidence, personne n’a jugé déplacée celle que Mme Kurl a adressée à M. Blanchet. Il faut en conclure qu’elle a simplement dit tout haut ce que tout ce beau monde pensait.

Aucun des autres chefs n’a osé manifester à la face du Canada anglais tout entier le moindre désaccord avec ce qu’impliquait une telle question, craignant de perdre des voix en prenant la défense du mouton noir de la fédération.

Leur désolation tardive n’était guère convaincante. Ils se sont réfugiés derrière le format rigide du débat, qui les aurait empêchés d’intervenir. Justin Trudeau a expliqué qu’il ne voulait pas ajouter à la cacophonie. Ce soudain souci du respect des règles était pour le moins suspect. Un politicien trouve toujours le moyen d’intervenir s’il le veut vraiment.


 
 

La grande majorité des Québécois n’a sans doute pas suivi le débat en anglais, mais on peut compter sur M. Blanchet pour promener son indignation jusqu’au jour des élections et expliquer qu’à travers lui, c’est tout le Québec qui a été traité de raciste et de xénophobe.

Après le coup de Jarnac que lui avait asséné le premier ministre Legault en émettant clairement le souhait de voir Erin O’Toole former le prochain gouvernement, le chef du Bloc ne peut que se féliciter de la tournure des événements. Vendredi, M. Legault semblait lui-même regretter d’avoir pris aussi ouvertement position, félicitant M. Blanchet d’avoir pris la défense du Québec.

S’il est vrai que le chef conservateur est plus respectueux des champs de compétence du Québec, tout le monde a bien vu qui est le plus prompt à défendre son identité et son droit de faire ses propres choix. Au reste, c’est davantage au Bloc qu’aux libéraux que le Parti conservateur risque d’enlever des voix si les électeurs nationalistes répondent à l’invitation de M. Legault à voter bleu.

Au fil de leur histoire, les Québécois ont développé une grande tolérance à l’insulte, mais il arrive parfois que le vase déborde. C’est la colère provoquée par le rejet de l’accord du lac Meech qui avait amené Lucien Bouchard à créer le Bloc. Le dérapage auquel le débat en anglais a donné lieu pourrait bien lui donner un nouveau souffle.


 
 

Cela pourrait avoir des répercussions bien au-delà de l’élection fédérale. La réaction outragée de tous les partis représentés à l’Assemblée nationale ne peut qu’entraîner une recrudescence du sentiment nationaliste, déjà nourri par trois ans de gouvernance caquiste.

M. Legault a voulu couper court à l’interprétation qu’on pouvait faire de son rappel des mots que Robert Bourassa avait prononcés le soir de l’échec de Meech : « Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse… » Lui-même doit cependant se demander jusqu’où les circonstances pourraient l’amener à pousser son credo autonomiste.

Au cours des dernières semaines, la cheffe du PLQ, Dominique Anglade, en a surpris plusieurs par la virulence des attaques contre les empiètements d’Ottawa dans les champs de compétence du Québec, et elle n’a pas eu d’autre choix que de joindre sa voix à l’indignation provoquée par ce nouveau réquisitoire contre les « valeurs québécoises ».

Pour le PQ, ce que Paul St-Pierre Plamondon a qualifié de « procès du Québec » constitue un véritable cadeau du ciel. L’aversion que la différence québécoise inspire au Canada anglais, dès qu’elle se manifeste concrètement, n’attendait qu’une occasion de réapparaître au grand jour.

En 1989, les images d’une bande d’orangistes piétinant rageusement le fleurdelisé à Brockville, en Ontario, avaient symbolisé le refus d’accepter la spécificité québécoise. Jacques Parizeau, qui était lui aussi à la recherche d’une étincelle, en avait été ravi.

Pour le moment, c’est le Bloc qui peut tirer profit de l’impair inespéré de Mme Kurl, mais il est de ces feux qui couvent longtemps avant que la flamme surgisse.



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