La technique du bulldozer

Ça ne s’est pas super bien passé, cette commission parlementaire sur la vaccination obligatoire. Il y a d’abord eu la question des documents et des données. Pourrait-on les voir ? L’avis favorable donné par la Santé publique ne serait-il pas une lecture indispensable ? D’autant qu’il contredit un avis écrit et public de janvier du Comité d’éthique de santé publique.

Le ministre Christian Dubé ne pensait pas avoir l’autorité de rendre public un document aussi crucial. Il a passé la rondelle au Dr Horacio Arruda. Ce dernier l’a mise dans sa poche, affirmant que l’avis était « préliminaire », donc impropre à la consommation. Qu’il allait d’ailleurs le bonifier à la lumière des arguments qu’il allait entendre pendant la commission. Il ne s’agirait donc que d’un brouillon ?

Heureusement, le ministre a bien cerné le problème. L’obligation faite aux salariés de la santé de passer trois tests par semaine en cas de refus du vaccin avait propulsé le taux de double vaccination à 86 % dans le secteur public, mais, a dit M. Dubé, l’effet s’est estompé. Il faut passer à la contrainte. D’ailleurs, a-t-il ajouté, « on a retardé cette décision-là le plus possible ».

Un argument solide, jusqu’à ce que la présidente de la FIQ, Nancy Bédard, vienne affirmer l’exact contraire. « Moi, ce que je sais, c’est que ça monte tous les jours », a-t-elle dit. Pour le personnel de la santé, « les données publiées ne respectent pas la réalité d’aujourd’hui puisque les délais de traitement sont de trois à cinq semaines ». Ouch !

Convaincre les récalcitrants de se faire piquer

 

Mme Bédard — comme votre chroniqueur, soyez-en certain — est favorable à la vaccination la plus large possible, en santé et ailleurs. Mais avant de menacer des salariés de perdre leur salaire, elle aimerait pouvoir convaincre les récalcitrants de se faire piquer. Où sont-ils ? « Je n’ai pas les données pour savoir où sont les efforts qui nous restent à faire. »

Heureusement, le ministre avait un autre argument à présenter. Oui, certains résistants à la vaccination quitteront leur emploi, ce qui provoquera des ruptures de service. Mais ces départs seront largement compensés par le retour du personnel enfin heureux de venir travailler dans un milieu pleinement vacciné, sécuritaire.

Foutaise ! a répondu Mme Bédard, soutenue ensuite par les représentants de la CSN. Ce n’est pas le taux de vaccination, mais le taux de surmenage qui pousse les salariés à quitter le réseau et à ne pas y revenir. Ce n’est pas la COVID, mais le TSO qui décime les rangs : le temps supplémentaire obligatoire. Les salariés ne se craignent pas entre eux, ils en ont contre les décisions contradictoires et autoritaires du ministère de la Santé, dont celle de l’obligation vaccinale.

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On aurait tant aimé entendre la réaction du ministre à ces contre-arguments. Il est d’usage à Québec que le ministre porteur d’un projet assiste à toute la commission parlementaire et dialogue avec les acteurs du milieu. Ayant participé à des centaines d’heures de commission, je puis témoigner qu’il s’agit là d’un joyau de notre démocratie. Mais le ministre a filé à l’anglaise. Il ne pouvait ni répliquer, ni contredire, ni nuancer. Le Dr Arruda, de même, était de retour à son bureau, probablement pour peaufiner son avis.

Une question sans réponse

 

Une question centrale, ainsi, n’a pas eu de réponse. Puisque les doubles vaccinés peuvent quand même transmettre le virus, un non-vacciné qui serait testé quotidiennement n’offrirait-il pas une garantie équivalente ou supérieure d’innocuité à celle de ses collègues vaccinés ? L’Ontario vient d’établir la vaccination ou le test régulier obligatoire dans son réseau de la santé. Pourquoi les autorités de santé publique ontariennes ont-elles tort et pourquoi les nôtres ont-elles raison ?

L’infirmière Bédard note d’ailleurs qu’il y a eu un avant et un après. Avant l’annonce de la vaccination obligatoire, les discussions entre sa fédération et le ministère se faisaient dans la transparence et le sens de la nuance. « Habituellement, il y a des éléments qui peuvent faire du sens pour eux, où, nous, on apporte certaines nuances dans nos discussions qu’on avait chaque semaine. Donc, pourquoi ils ne l’ont pas fait cette fois-là ? » Car, depuis l’annonce de la vaccination forcée, rien. Moins d’information, moins de données, moins de consultations. Cette habituée des commissions parlementaires s’étonne d’ailleurs de se présenter à « une commission où on n’a pas eu de documents, une commission où on n’a pas de données, où il n’y aura pas de recommandations ».

Interprétations charitable et moins charitable

 

La chose est nette, le triumvirat Legault-Dubé-Arruda a utilisé pour l’opération vaccin obligatoire la technique du bulldozer. L’interprétation charitable est la suivante : conscients des lacunes de leur position mais ayant bien vérifié que l’opinion y était favorable, ils ont décidé de foncer pour asséner un choc aux non-vaccinés. Un état de crainte maximal qui poussera les taux de vaccination à la hausse. La fin, noble, justifierait le moyen, détestable.

L’interprétation moins charitable est que l’équipe Legault a compris que le maintien de sa grande popularité dans sa dernière année de mandat avant l’élection dépend de sa capacité à garder une position offensive dans la gestion de la pandémie. De ne se faire doubler, donc, par personne. Pour y arriver, ses décisions doivent s’appuyer sur un type de science et un type de données en particulier. La science politique et les données de sondage.



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