Tous contre le virus, seuls contre la surchauffe climatique

L’ouest du Canada a subi une vague de chaleur historique dans la dernière semaine. Les écoles et les cliniques de vaccination contre la COVID-19 ont été forcés de fermer leurs portes. Le village de Lytton, en Colombie-Britannique, a battu le record du plus haut niveau de tous les temps au Canada, avec une température de 49,5 °C, et Environnement Canada a prévenu que la situation pourrait empirer.
Photo: Jim Watson Agence France-Presse L’ouest du Canada a subi une vague de chaleur historique dans la dernière semaine. Les écoles et les cliniques de vaccination contre la COVID-19 ont été forcés de fermer leurs portes. Le village de Lytton, en Colombie-Britannique, a battu le record du plus haut niveau de tous les temps au Canada, avec une température de 49,5 °C, et Environnement Canada a prévenu que la situation pourrait empirer.

Lytton, petit village de 249 âmes de la Colombie-Britannique, est devenu mardi le triste symbole national de la surchauffe planétaire, avec 49,6 degrés Celsius au thermomètre, de quoi transformer la capitale canadienne du rafting en désert saoudien.

C’était avant que le hameau soit littéralement englouti par les flammes, rançon du soleil de plomb qui embrase la région sur son passage, liquéfiant des neiges qu’on croyait éternelles.

Tout un paradoxe que Lytton, berceau de la ruée vers l’or, soit devenu la victime impromptue, 150 ans plus tard, d’une quête effrénée pour toujours plus de richesses. Canari dans la mine d’un climat en ébullition, Lytton suffoque aujourd’hui pour cause de surconsommation planétaire.

Lytton détient aussi un autre triste record : celui hérité du romancier victorien Edward Bulwer-Lytton (de qui la ville tient son nom), considéré comme l’auteur de la pire phrase introductive de tous les romans de la littérature anglophone : « It was a dark and stormy night. » Une phrase devenue quasi prophétique pour ce village aujourd’hui calciné, plongé en plein scénario catastrophe.

Si près, si loin

 

Pendant que l’ouest du Canada grille sous le soleil, quelque 400 000 habitants de Madagascar subissent la première vraie famine directement attribuable aux changements climatiques, annonçait cette semaine le Programme alimentaire mondial (PAM). Privés de récoltes par une sécheresse sans fin, des milliers de Malgaches en sont réduits à manger des feuilles, des cactus et des insectes pour survivre.

Le réchauffement climatique n’est plus de la science-fiction, calcinant sur son passage de lointains pays. Le feu couve aussi à notre porte.

En une fin de semaine, 230 personnes ont succombé aux coups de chaleur en Colombie-Britannique, le plus souvent des personnes vulnérables, sans moyens pour se mettre au frais dans des chambres d’hôtel chics.

Même les cliniques de vaccination contre la COVID-19 ont été fermées ou délocalisées et les vaccins, reportés. Comme quoi une urgence en éclipse rapidement une autre.

 

« Nous sommes en plein dedans ! » disait cette semaine Michael Wehner, climatologue de l’Université de Californie à Berkeley. « Les changements climatiques ne sont pas un problème des générations futures, mais de demain. »

Plus de 230 morts en quelques nuits torrides, c’est plus pour ce coin de pays que le bilan total des décès dus à la COVID-19 au Canada la semaine dernière (119).

Deux poids, deux mesures

 

Pour « aplatir la courbe » d’Horracio et conjurer la courbe mortelle de la pandémie, des millions de citoyens ont consenti à s’encabaner pendant des mois, à endurer le masque en public, à faire fi des soupers entre amis, des sorties au restaurant, des concerts et autres nourritures culturelles.

Pour contenir le mercure qui achève de transformer leurs villes en presto, comment comprendre que la même population reste dans le déni ?

« Les gens ont vu le virus comme une menace directe et personnelle à leur sécurité, alors que, pour la majorité, le réchauffement climatique demeure une menace diffuse », m’expliquait cette semaine le Dr Simon Donner, expert du climat et professeur de géographie à l’Université de Colombie-Britannique.

Or, le tribut de l’escalade climatique, déjà énorme en matière de santé et de décès, est appelé à grossir, ajoute-t-il. Déjà, en 2018, une étude chiffrait à 7100 le nombre de vies humaines perdues au Canada en raison de la chaleur et de la pollution générées par les gaz à effet de serre.

« Le problème, c’est que ce réchauffement se produit beaucoup plus vite que notre capacité à nous y adapter. Il faut redessiner nos maisons, nos bâtiments, pour créer des refuges de fraîcheur », martèle cet expert de Vancouver, dont le tiers des maisons sont dépourvues de climatiseurs. « Les vagues de chaleur sont encore perçues comme des événements isolés et temporaires », déplore-t-il.

Pas si isolés, puisque l’ONU prédit qu’à compter de 2030, la mijoteuse atmosphérique entraînera 250 000 morts directes par an. Et, pour rappel, cette surchauffe sera deux fois plus rapide au Canada qu’ailleurs dans le monde.

Les gens ont vu le virus comme une menace directe et personnelle à leur sécurité, alors que, pour la majorité, le réchauffement climatique demeure une menace diffuse

 

Déjà plus meurtriers que les ouragans, les tornades et les inondations réunis, les sursauts du climat sont vite oubliés. Pas de débris, pas d’arbres arrachés, pas de blessés. Juste des morts invisibles, anonymes. Beaucoup moins d’impacts qu’une grand-mère happée par un virus dans un CHSLD près de chez vous.

Pour Tobias Grosch, psychologue en développement durable, les injonctions morales (face aux dérèglements climatiques) ne font pas le poids avec le pragmatisme qui conforte chaque jour les humains dans le maintien d’habitudes délétères pour le climat. Pendant toute la pandémie, les « covidiots » ont été mis sur le gril, quid des idiots du climat ?

Surconsommation, commodité de l’autosolo et promesses de grillades carnées pèsent toujours plus lourd dans la balance que la menace éventuelle de rôtir au soleil, croit ce psychologue.

Seul l’égoïsme pourra nous sauver du barbecue collectif qui attend l’humanité, croit aussi Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC et spécialiste de la transition énergétique. « Les gens sont profondément individualistes, et ni les institutions ni les politiques gouvernementales ne les poussent à agir autrement », dit-il.

Comme pour contrer un virus, agir pour le salut de son propre nombril ou de son portefeuille pourrait s’avérer beaucoup plus convaincant pour s’attaquer à l’emballement du climat, conclut cet expert.

Longtemps jugé imbuvable par le patronat, le télétravail, forcé par la pandémie, est maintenant louangé par gouvernements et employeurs, qui épargnent ainsi des millions. Money talks, comme diraient les Chinois. Moins de transports, moins de stress, moins de dépenses. Des légions de travailleurs sont prêts à faire une croix sur le « métro-boulot-dodo ».

Retour à la normale ?

L’agence Bloomberg publiait cette semaine un palmarès des pays les plus « résilients » face à la COVID-19. Les meilleurs élèves sont ceux fonçant le plus vite vers un retour à « la normale », calculé à l’aune du nombre de passagers aériens, de la reprise de vols internationaux et du minimum de restrictions en place pour brider l’économie. Champions en titre : les États-Unis. Avec plus de 600 000 morts au compteur et des dépenses pandémiques de 16 milliards, on aurait pu se garder une petite gêne côté résilience.

« Comme pour le télétravail, il n’y aura pas de retour à la “normale” dans certains domaines après la pandémie, mais un retour vers une vie différente », insiste Pierre-Olivier Pineau.

« On a tous profité de la vie en ville avec moins de voitures, moins de pollution, moins de dépenses. Limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES) avec un niveau de vie équivalent, mais totalement différent, ce sera difficile, mais c’est tout à fait possible. »

Alors que le dôme de chaleur achève de transformer les Prairies en marmite, le Dr Donner croit que l’humanité est plus que jamais dans l’eau chaude.

« Abaisser nos émissions de GES est la seule façon de réduire et de prévenir de telles catastrophes. La pandémie a montré que les individus ne peuvent combattre seuls un problème mondial, mais que la population est prête à suivre si les gouvernements font leur travail et donnent la direction. Il faut donc que les gouvernements agissent. Maintenant. »

Chaud devant !

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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