Apostasier? Pourquoi?

Kamloops, Marieval et Saint-Eugene. Trois pensionnats pour Autochtones où l’on a retrouvé dans le dernier mois 1148 enfants. Les trois gérés par les Oblats, administrés au quotidien par des religieuses catholiques.

Les pensionnats ont pour la plupart été ouverts sous la responsabilité du gouvernement fédéral, et d’autres chrétiens, comme les anglicans, y ont participé. Mais voilà, il se trouve que les dernières nouvelles concernent particulièrement les catholiques. Il est donc normal que bien des Québécois qui ont été baptisés et qui ont reçu une (certaine) éducation catholique (j’en suis), ne serait-ce que parce que c’était la norme dans le système d’éducation public jusqu’au début des années 2000, réfléchissent à ce que ça veut dire d’être formellement membre de cette Église, particulièrement ces derniers jours. Même si de moins en moins de gens s’identifient activement comme catholiques, tous les Québécois qui ont été baptisés comptent dans les registres de l’institution. Et ça, c’est encore près de 75 % d’entre nous. Plus de six millions de personnes.

J’ai entendu, ces dernières semaines, certaines personnes autour de moi dire qu’elles réfléchissaient à l’apostasie, soit la démarche formelle pour sortir de l’Église catholique. J’ai donc lancé la question sur les médias sociaux : qui y pense ces jours-ci ? Y a-t-il là une nouvelle vague de rejet de l’Église ? En 24 heures, j’ai été inondée de réponses, publiques et privées. Oui, il semble y avoir une quantité appréciable de personnes qui y pensent, vu le cycle de nouvelles. Certaines avaient déjà entamé des démarches. D’autres s’y sont mises à la suite de la discussion qui a été ainsi ouverte.

D’autres encore avaient déjà apostasié, et elles ont partagé avec moi leur expérience. En gros, il s’agit d’écrire à son diocèse afin d’expliquer pourquoi on souhaite officiellement quitter l’Église catholique. Certaines personnes ont été baptisées à quelques jours seulement, mais elles n’ont jamais eu la foi. D’autres ont encore une certaine foi et souhaitent continuer à s’identifier comme chrétiens, mais veulent se dissocier de l’Église catholique comme institution religieuse — souvent en réaction à une sortie particulièrement conservatrice du pape ou d’un évêque. D’autres encore ont vécu des expériences traumatiques au sein de l’Église, et cette démarche fait partie de leur processus de guérison. Il y a, en bref, autant de raisons de le faire qu’il y a d’ex-fidèles.

Certains ex-catholiques ont reçu tout de suite une réponse confirmant leur apostasie. D’autres reçoivent plutôt des missives leur demandant de confirmer leur intention, ou encore la visite d’un prêtre, ou un appel du diocèse. Parmi les personnes qui m’ont écrit, plusieurs ont vécu cette multiplication de démarches comme une espèce d’obstination de l’Église à ne pas respecter leur volonté. Certaines, devant la lourdeur de la paperasse (on demande le plus souvent de dénicher son baptistaire, ainsi qu’un formulaire signé par deux témoins) et les demandes de confirmation, abandonnent en cours de route.

J’ai demandé aux archevêchés de Montréal et de Québec de m’expliquer comment les demandes sont traitées. On me dit que les politiques peuvent varier d’un diocèse à l’autre. « Certains exigent que la lettre soit adressée directement à l’évêque ; d’autres veulent prendre connaissance directement des intentions de la personne, afin d’établir si c’est un acte posé validement selon les lois de l’Église », explique-t-on notamment à Québec. On en comprend que, si, sur les quelque six millions de Québécois officiellement catholiques dans les registres, une quantité appréciable ne souhaitent plus s’identifier à cette religion, le traitement des demandes d’apostasie, une à une, semble être une manière fastidieuse de le faire savoir.

Car c’est là une des principales raisons de poser le geste, dans mon entourage. Annoncer qu’on ne veut pas « compter dans leur gang ». Il s’agit d’un cri du genre « pas en mon nom », en quelque sorte. Parce qu’on craint que les registres soient utilisés pour justifier les avantages politiques, notamment fiscaux, dont l’Église jouit encore (quoi qu’on dise sur la laïcité) et qu’on ne veut pas contribuer à la légitimité du clergé. L’apostasie « implicite », qui signifie ne plus s’identifier comme catholique sans le communiquer formellement à son évêque, ne permet pas de sortir des statistiques internes.

Le même message « pas en mon nom » peut être envoyé autrement, toutefois. Parmi les gens qui m’ont écrit, plusieurs ont encore la foi ou un attachement émotionnel à une partie de cet héritage et souhaitent plutôt utiliser leur statut de catholiques pour faire pression sur le clergé afin de changer sa position sur un ensemble d’enjeux sociaux. Rester peut aider à exiger des excuses du pape pour les pensionnats, entre autres choses. On se méfie de la « politique de la chaise vide » et souhaite transformer l’Église de l’intérieur, ou contribuer à certains courants plus progressistes qui existent en son sein.

Le rapport de bien des Québécois à la religion est très complexe, beaucoup plus nuancé qu’on le laisse souvent paraître, parfois douloureux, marqué par la contradiction, et très souvent par le tabou. Le but de cette chronique n’est pas d’enjoindre à qui que ce soit d’entreprendre l’apostasie, ou le contraire, mais plutôt d’ouvrir un dialogue qui semble nécessaire. Il existe un lien profond et indéniable entre la douleur causée par l’actualité sur les pensionnats pour Autochtones et les réflexions de bien des Québécois, catholiques de cœur ou de papier, sur cette institution religieuse qui a façonné notre société. Il est important que cette réalité soit nommée et explorée, dans le respect de tous.

Que ce soit en quittant l’Église et en expliquant ses raisons, ou en restant et en utilisant son statut pour faire pression, il me semble qu’il y a bien des façons avec lesquelles ces six millions de Québécois pourraient interpeller l’Église, notamment pour que les peuples autochtones puissent avoir un accès plus complet aux archives des pensionnats et qu’ils obtiennent réparation et excuses officielles.

À chacun de trouver en sa conscience comment s’y prendre.

En réponse à mes questions, monseigneur Christian Lépine, archevêque de Montréal, a souhaité faire la déclaration suivante à toutes les personnes qui remettent en cause leur appartenance à l’Église catholique ces temps-ci : « Je partage leur peine immense devant le terrible sort des enfants des pensionnats autochtones et de leur famille. Nos valeurs sont profondément heurtées lorsque l’intégrité des familles et le respect de la personne sont ainsi bafoués. L’Église s’est ici dramatiquement éloignée de Jésus-Christ. J’accueille leur cheminement et leur décision avec respect et leur exprime mes meilleurs souhaits de paix intérieure. »

Ces mots suffisent-ils ? Apaisent-ils quelque chose ? Croyez-vous qu’ils seront suivis de gestes concrets de réparation, notamment financière, pour les multiples victimes des abus de l’Église ? Vous pouvez toujours lui écrire, ainsi qu’aux autres membres du clergé québécois, et leur faire savoir l’état de vos réflexions sur le rôle de l’Église dans les horreurs de la colonisation (entre autres nombreuses choses).

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