La passe du coyote
L’accueil positif que Justin Trudeau a réservé au projet de loi 96 et à l’affirmation de l’existence de la nation québécoise en a surpris beaucoup, après la férocité avec laquelle son père avait dénoncé la loi 101.
Malgré les cris d’orfraie poussés au Canada anglais, tous les partis représentés à la Chambre des communes l’ont également appuyé, même s’il était illusoire de croire que la motion présentée par le Bloc québécois pourrait être adoptée à l’unanimité. L’ancienne ministre libérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, a décidé de jouer à l’empêcheuse de tourner en rond.
Tous les partis fédéraux avaient aussi appuyé l’accord du lac Meech jusqu’à la fin, y compris le Parti libéral du Canada, dirigé à l’époque par John Turner. C’est plutôt en convainquant quelques provinces de renier leur signature que Trudeau père avait réussi à le saboter.
Tous les premiers ministres provinciaux n’ont pas applaudi la manœuvre du gouvernement Legault avec autant d’admiration que Jason Kenney, qui a dit y trouver une source d’inspiration, mais aucun ne s’y est opposé, pour le moment du moins.
Même l’utilisation de la disposition de dérogation, qui avait déclenché le mouvement anti-Meech, ne semble pas avoir causé une grande émotion, que ce soit à Fredericton, à Winnipeg ou encore à Saint John’s, hauts lieux de l’opposition à Meech.
La crise qui avait mené au référendum de 1995 a sans doute laissé de très mauvais souvenirs, mais personne ne croit sérieusement que l’indépendance constitue encore une menace. Le PQ semble en phase terminale, et François Legault se dit maintenant un fier Canadien et préside le Conseil de la fédération.
Se pourrait-il que le proverbial fruit commence enfin à mûrir ou le projet de loi 96 est-il perçu comme inoffensif ? Même l’architecte du « plan B » et père de la « loi sur la clarté », Stéphane Dion, appuie la démarche du Québec. C’est dire.
La dernière fois que les provinces se sont sérieusement penchées sur le dossier constitutionnel et sur les principes qui devraient présider à d’éventuels amendements remonte à septembre 1997, quand tous les premiers ministres, sauf celui du Québec, avaient signé la Déclaration de Calgary.
Il n’était plus question de qualifier le Québec de « société distincte », ce que le Canada anglais interprétait comme une prétention à une certaine supériorité. On reconnaissait simplement le « caractère unique de la société québécoise », tout en spécifiant que « malgré leurs caractéristiques propres, toutes les provinces sont égales ».
On reconnaissait aussi que ce caractère unique du Québec, notamment en raison de la présence d’une majorité francophone, est « fondamental pour le bien-être du Canada ». Par conséquent, on acceptait que « l’Assemblée législative et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger le caractère unique de la société québécoise au sein du Canada et d’en favoriser l’épanouissement ».
Lucien Bouchard, alors premier ministre, avait qualifié la Déclaration de véritable « insulte », qui ravalait le Québec au rang de simple « province comme les autres ». Daniel Johnson, qui vivait ses derniers mois à la tête du PLQ, semblait emballé, mais Claude Ryan, qui demeurait le phare intellectuel du parti, avait aussi décrété qu’elle était insatisfaisante.
Les sondages indiquaient pourtant qu’une nette majorité de Québécois approuvaient la Déclaration. Sans le concours du gouvernement Bouchard, qui souhaitait toujours la tenue d’un troisième référendum sur la souveraineté, il était évidemment impossible d’y donner suite.
C’est largement l’esprit de Calgary qu’on retrouve dans les modifications à la constitution interne du Québec que prévoit le projet de loi 96. Certes, on n’y parlait pas de « nation », mais le caractère explosif de ce terme a été désamorcé par la motion adoptée par la Chambre des communes en novembre 2006. Au Canada anglais, on le perçoit moins comme un synonyme de pays, donc de séparation. On en est même rendu à parler de la « Ford nation ».
Éviter le recours à la formule d’amendement prévue à la loi constitutionnelle de 1982 est une véritable trouvaille. On en attribue le mérite à un jeune juriste, Hubert Cauchon, qui s’est penché sur le sujet dans le cadre d’une thèse de doctorat dirigée par le professeur Patrick Taillon, de l’Université Laval. Au gouvernement, on a appelé cette manœuvre non orthodoxe « la passe du coyote », qui pourrait bien être le prélude à d’autres.
Le ministre responsable de la Langue, Simon Jolin-Barrette, aurait peut-être pu s’abstenir de claironner que le projet de loi 96 aura une portée non seulement politique, mais également juridique. Il sera toujours temps de s’en réjouir si les tribunaux lui donnent raison. En attendant, il vaut mieux ne pas réveiller l’ours qui dort.
La hantise que le Québec reçoive un quelconque traitement de faveur demeure toujours présente au Canada anglais. Un des principes de la Déclaration de Calgary était que « si une future modification devait accorder des pouvoirs à une province, il faudrait que ces mêmes pouvoirs soient accessibles à toutes les provinces ».
On peut néanmoins comprendre le coyote d’avoir envie de rire dans sa barbe. À ceux qui lui reprocheront d’avoir simplement fait de l’esbroufe avec son « Nouveau projet pour les nationalistes du Québec », François Legault pourra répliquer avoir réussi à décadenasser la Constitution. Bien joué.