Coup de cafard

Malgré les mauvaises nouvelles et quelques sautes d’humeur, le premier ministre Legault a généralement réussi à afficher une confiance assez rassurante depuis le début de la pandémie.

La nature humaine étant ce qu’elle est, il y a cependant des limites à « ramer dans la gravelle » sans que le moral en soit affecté et M. Legault n’a pas l’impassibilité du joueur de poker. Son visage trahit facilement ses états d’âme. Cette semaine, il a visiblement eu un coup de cafard.

L’entendre déclarer, l’air déconfit, que le 24 juin ne marquerait pas le retour à une certaine normalité, mais qu’on pourrait simplement « commencer à penser à espérer », avait de quoi déprimer même les plus optimistes.

Quand il est devenu premier ministre, les attentes à son endroit n’étaient pas très élevées. Plusieurs craignaient même un coup de barre à droite et une nouvelle tentative de « réingénierie » de l’État qui ne sont pas venus. Bon nombre de ceux qui ont voté pour lui le 1er octobre 2018 voulaient surtout chasser les libéraux, mais il a agréablement surpris.

Un des reproches qu’on faisait à son prédécesseur, Philippe Couillard, était un manque apparent d’empathie. Il semblait complètement indifférent aux difficultés de la vie quotidienne du commun des mortels. Durant la campagne électorale, sa prétention qu’une famille d’un adulte et deux adolescents pouvait se nourrir avec 75 $ par semaine lui a causé un tort considérable.

 

Tout millionnaire qu’il soit, M. Legault n’a jamais eu l’air de regarder les Québécois de haut et ils aiment généralement que leur premier ministre ressemble à monsieur Tout-le-Monde, avec ses qualités et ses défauts.

Il y a pourtant une faiblesse à laquelle il n’a pas droit : le découragement. S’il donne l’impression de baisser les bras, toute la population va lâcher prise. Dans la situation actuelle, ce serait la catastrophe.

Il est vrai qu’en début de semaine, il y avait de quoi broyer du noir. Le Vieux-Montréal avait été envahi par des centaines d’opposants aux mesures sanitaires, auxquels s’étaient mêlés les inévitables casseurs. Un peu partout sur la planète, y compris en Ontario, les variants semblaient sur le point de gagner la course contre les vaccins et les experts prédisaient que c’était simplement une question de temps avant que le Québec perde à son tour le contrôle de la situation.

Pour couronner le tout, le gouvernement s’est emmêlé les pinceaux sur la question du port du masque à l’extérieur, forçant le premier ministre à une piteuse volte-face qui a contribué à semer le doute sur le bien-fondé de mesures souvent décrétées dans une précipitation déroutante.

Contrairement à d’autres, M. Legault est capable de reconnaître publiquement une erreur, ce que la population apprécie, mais il ne faut quand même pas abuser de la contrition. Même si elle peut parfois sembler mince, il y a une différence entre s’adapter à une situation changeante et se contredire.

Il est vrai que les explications du Dr Horacio Arruda laissent de plus en plus dubitatif. On peut comprendre la perplexité de l’association Golf Québec en l’entendant déclarer : « Quand vous jouez au golf, vous n’allez pas nécessairement vous tenir à deux mètres. » C’est à se demander s’il est toujours l’homme de la situation ou s’il comprend bien le rôle qui devrait être le sien.

 

Dans tous les parlements, les malheurs du gouvernement font le bonheur de l’opposition. Encore faut-il bien choisir son angle d’attaque. Sans aller jusqu’à parler d’ésotérisme, comme l’a fait le premier ministre, l’Assemblée nationale a sans doute mieux à faire que de débattre de la nécessité de reconduire automatiquement un état d’urgence qui constitue une évidence aux yeux de tous, comme le réclame la cheffe du PLQ, Dominique Anglade. L’esprit des règles démocratiques peut très bien s’accommoder du bon sens.

En revanche, Pascal Bérubé a raison de demander à M. Legault de faire précéder ses conférences de presse d’un communiqué qui exposerait clairement l’ensemble des mesures que le gouvernement entend mettre en vigueur. Cela permettrait d’éviter les annonces sélectives et de fournir à tout le monde un aide-mémoire auquel se référer. Le premier ministre se pique de transparence, mais il est manifeste que ses explications ne sont pas toujours aussi claires et complètes qu’elles devraient l’être.

Cela dit, M. Legault, qui invite continuellement les Québécois à se consoler en se comparant avec ce qui se passe ailleurs, pourrait suivre son propre conseil. Certes, la partie est loin d’être gagnée, mais Doug Ford, qui ne sait plus à quel saint se vouer, et Jason Kenney, qui doit faire face à une véritable révolte au sein de son caucus, ont bien plus de raisons de déprimer. Qui sait, quelques victoires d’affilée du Canadien contribueraient peut-être à remonter le moral de ce grand amateur de hockey qu’est le premier ministre ?

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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