Bon anniversaire, M. Rocher

Dans trois ans et quelques jours, M. Guy Rocher deviendra centenaire. En attendant, il fêtera mercredi ses 97 ans.

Au nom de ces innombrables personnes qui l’admirent et qu’il a inspirées, je tenais à le souligner, et surtout à rappeler ce qu’on lui doit — notamment, mais pas seulement, en éducation.

Un parcours exemplaire

 

Guy Rocher naît le 20 avril 1924 à Berthierville.

Il fréquente le collège classique, où il dira avoir appris « combien la réflexion humaine repose sur la pensée accumulée au cours des siècles antérieurs ».

Suivent un noviciat chez les dominicains, bientôt abandonné, des études en droit, inachevées, puis son engagement dans ce nouveau mouvement de la Jeunesse étudiante catholique (JEC). Il comptera beaucoup pour lui. Ce mouvement a pour beau précepte « Voir, juger, agir ». M. Rocher dira y avoir vécu une « renaissance intellectuelle ». C’est aussi là qu’il prend goût à l’action politique.

Ce sera finalement à la sociologie qu’il va se consacrer. Avec une recommandation du père Georges-Henri Lévesque, le père de la sociologie au Québec, le voici bientôt à l’Université Harvard, auprès du grand sociologue américain Talcott Parsons (1902-1979). En 1958, il est docteur dans cette discipline. Il reprend ensuite, à l’Université de Montréal, sa prestigieuse carrière de professeur de sociologie commencée en 1952 à l’Université Laval.

L’universitaire engagé dans la cité

En 1961, on lance chez nous la fameuse Commission royale d’enquête sur l’enseignement. Elle est dirigée par Mgr Alphonse-Marie Parent et connue pour cette raison sous le nom de commission Parent. On demande à M. Rocher d’en être. Il refuse, hésite, puis se ravise. Pour notre plus grand bien.

Cette commission, son long et sérieux travail, son rapport, tout ce qui s’ensuit concrètement (ministère de l’Éducation, cégeps, polyvalentes…), tout cela marque en effet un véritable tournant historique pour le Québec moderne, celui de la Révolution tranquille, et M. Rocher y joue un rôle de tout premier plan.

Son apport est, comme il fallait s’y attendre, celui d’un sociologue. La question qu’il invite alors à se poser est celle-ci : « Vers quoi nous dirigeons-nous et [quel type] de système d’éducation devrait être le plus adapté à l’évolution de cette société québécoise dans les prochaines années ? »

Comme tant d’autres de ma génération, je le découvre au début des années 1970, alors qu’il est revenu à l’université où j’étudie en philosophie. Les étudiants que nous étions admiraient ses talents de pédagogue (son Introduction à la sociologie générale force l’admiration…) et la manière dont il s’est engagé dans la cité tout en restant indéniablement un universitaire, avec tout ce que cela implique et exige d’objectivité.

Il fera encore montre de ces qualités durant cette même décennie, notamment en participant à l’élaboration de la politique linguistique et de la politique culturelle du Québec.

Plus récemment, M. Rocher s’est encore engagé, avec les qualités qui le caractérisent, en appuyant le mouvement étudiant de 2012 et le combat en faveur de la laïcité. On a même pu le voir à Tout le monde en parle !

On l’aura compris, nous devons collectivement et individuellement beaucoup à cet homme. Et je suis très heureux de savoir que, par d’innombrables prix et honneurs qui lui ont été décernés, nous en sommes conscients.

Tout récemment, on a même créé deux prix qui portent son nom. Le prix Guy-Rocher de la Fédération des cégeps, pour commencer, qui met publiquement en valeur la contribution et les réalisations de membres ou de partenaires des cégeps. Et, cette année, on décernera pour la toute première fois le Prix de la laïcité Guy-Rocher, qui salue la contribution actuelle ou passée d’une personne, d’un organisme ou d’un regroupement en faveur de la laïcité. On peut jusqu’au 7 mai présenter une candidature pour ce prix.

Sans oublier…

Il y a évidemment bien plus dans l’immense héritage que nous laisse M. Rocher et je ne peux tout rappeler ici.

Mais je tiens à dire qu’en ces heures de polarisation excessive des débats, où insultes et exhibitions satisfaites de vertu se conjuguent pour interdire de sereinement discuter de tant de sujets importants et incontournables, son parcours montre, en en donnant l’exemple, ce qu’est l’antidote à ces dangereux poisons. Il a pour nom curiosité, respect, modestie, écoute. Les interventions de M. Rocher, même sur des sujets chauds et hautement polémiques, sont imprégnées de ces vertus épistémiques qui devraient être pratiquées par chacun de nous.

Merci pour tout, M. Rocher. Hommages et respect. Et un excellent anniversaire mercredi.

Une lecture

 

Pierre Duchesne a publié le premier tome (1924-1963) de la belle biographie qu’il consacre à M. Rocher : Guy Rocher. Voir - Juger - Agir, chez Québec Amérique.

On a très hâte au deuxième tome !

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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