Plus de maisons pour la culture

On voit s’affirmer ces jours-ci des volontés de mettre en lumière la culture québécoise sur le fil du temps. Tant mieux ! Trop de créateurs marquants de nos parcours sont méconnus chez nous. Cette ignorance collective de l’histoire politique et culturelle de son propre peuple est une vraie tare. Ici, la devise « Je me souviens » a le caquet bas. Surtout quand, pour correspondre aux valeurs du jour, l’époque tend à rayer des noms plutôt qu’à les faire connaître. Toute nation demeure tributaire du legs des générations passées. Que se multiplient donc les maisons culturelles vouées à la mémoire ! Ça s’en vient, au fait.

Si des arts populaires ont fleuri chez nous depuis la Nouvelle-France, ce sont bien la chanson et la musique. Le riche folklore de la mère patrie s’était marié aux reels des Irlandais pour faire danser dans les chaumières aux sons des violons et des accordéons. Les patriotes se ralliaient en fredonnant ou en sifflotant À la claire fontaine. C’est à cette source traditionnelle que La Bolduc, Gilles Vigneault et Félix Leclerc s’étaient nourris avant de créer des ritournelles et complaintes inoubliables. Robert Charlebois vint rocker la cadence pour la modernité.

Depuis, combien de chanteurs populaires se seront relayés, toutes origines, tous rythmes confondus, en envoyant les airs québécois à la rencontre du monde ? Issues des francophones, des anglophones, des Premiers Peuples ou des artistes de l’immigration, ces voix forment un chœur bourdonnant renouvelé sans cesse.

Une Maison de la chanson et de la musique, sous l’égide de l’animatrice radio Monique Giroux et du parolier Luc Plamondon, pourrait voir le jour au centre-ville de Montréal. En tout cas, le concept, à l’étape du développement de projet, va bon train. Robert Charlebois, Claude Dubois, Pierre Lapointe, Catherine Major, Ariane Moffatt et plusieurs autres chanteurs poussent à la roue. L’endroit se voudra un espace mémoriel comme de découvertes récentes. S’ajoutent un important volet numérique et une tribune de diffusion pour les artistes des régions du Québec, les communautés culturelles et autochtones. Aires d’exposition, salle de spectacle, centre d’archives, lieux de répétition, agora pour la jeunesse. Alouette !

L’équipe se cherche un nid et lorgne la centenaire bibliothèque Saint-Sulpice, rue Saint-Denis. D’autres, comme la Fondation Riopelle et la Maison de la littérature, convoitent ces beaux locaux à restaurer. Mais qui sait ? Si tout allait finir là-bas par des chansons ?

Volonté politique

 

On aurait mal vu le gouvernement de la CAQ couper les ouïes à ce type de projet rassembleur. L’État québécois lui tendait l’oreille depuis longtemps, mais la pandémie ralentissait tout. C’est reparti. De fait, la création d’une Maison de la chanson et de la musique s’inscrirait pile-poil dans la volonté du premier ministre de s’offrir un legs culturel à saveur nationaliste. N’apprenait-on pas cette semaine par La Presse que François Legault désirait créer un réseau de maisons de la culture à travers les 17 régions administratives du Québec ?

Ces espaces muséaux, sous la baguette du Musée de la civilisation dans la capitale, seraient consacrés à l’histoire et aux arts nationaux. Des bâtiments patrimoniaux restaurés et transformés, dont des églises sans doute, y trouveraient une nouvelle vocation, les régions y gagneraient en attraits touristiques. Et vogue le navire ! L’annonce officielle et les détails de l’opération seraient attendus à la fin du mois de mars.

Espérons que les grands écrivains feront partie du parcours hommage. Quant au village de Natashquan, il a besoin d’un coup de pouce pour mieux célébrer le berceau de Vigneault sur ses galets.

Le 60e anniversaire du ministère des Affaires culturelles, fondé par Georges-Émile Lapalme en 1961 sous Jean Lesage, deviendrait ainsi l’occasion d’offrir une couleur plus nationaliste au secteur culturel sous l’empreinte d’une CAQ très fleur de lys, en fouettant le sentiment d’appartenance collectif. Tout est politique, mais pas que…

Par-delà l’allégeance de chacun, ce genre de projets mérite des appuis. La culture possède des troncs et des ramifications planétaires (à ne jamais écarter par chauvinisme), mais connaître son patrimoine aide à se situer face au monde. Des transmissions générationnelles mal déchiffrées condamnent le peuple québécois à perpétuer des traits d’enfermement et des préjugés face à la culture aussi.

Or cette grande dame aux habits multicolores, taxée d’élitisme et regardée de travers, détient la clé de bien des savoirs collectifs. La convoquer comme ambassadrice aux quatre coins du Québec, en chansons, en livres, en films, en fragments d’histoire, n’est-ce pas voyager dans le temps pour mieux dessiner l’avenir ? Les visées de la CAQ sur cette lancée-là servent à nourrir notre société.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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