La main tendue à Téhéran

« Les États-Unis sont de retour », a déclaré vendredi le président américain, Joe Biden, par visioconférence à l’ouverture de la conférence de Munich, cet important rendez-vous annuel sur la sécurité qui, tous les mois de février depuis 1963, se tient en Allemagne… cette année pour la première fois sur le mode virtuel.

America is back. Après quatre années d’America First, c’est le nouveau slogan de l’heure à Washington, censé résumer le dernier virage en politique étrangère.

Mais qu’en sera-t-il dans les faits ? Que veulent et que peuvent vraiment les États-Unis de l’après-Trump à l’international ? Un retour à la coopération de jadis est-il seulement possible… et souhaité ?

Joe Biden, le 19 février, s’est livré à un plaidoyer idéaliste et généreux (en paroles) en faveur du multilatéralisme, citant le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris sur le climat — réintégration entrée en vigueur le même jour — et la réaffirmation de l’alliance transatlantique entre l’Europe et les États-Unis. Il a également dit que les États-Unis « sont prêts à reprendre les négociations sur le programme nucléaire iranien ».

Dans ces trois dossiers — Accord de Paris, alliance transatlantique, nucléaire iranien —, la volonté d’engagement du nouveau gouvernement semble sincère. Pourtant, le scepticisme reste fort face à un supposé « retour des États-Unis ».

Emmanuel Macron a protesté contre la prétention de Washington à retrouver automatiquement un leadership mondial, du simple fait que le « vilain canard isolationniste » de la Maison-Blanche serait maintenant parti.

Lors d’un G7 virtuel tenu le même 19 février, le président français a réaffirmé son rêve de doter l’Europe d’une stratégie de défense qui lui soit propre, et nuancé la dureté exprimée par Joe Biden sur la Russie.

Hormis l’incontournable question du climat, les relations avec l’Iran seront le grand test géopolitique de l’épisode Biden qui commence.

Sur l’Iran, Trump était manifestement influencé par Israël. Combien de fois a-t-il répété que l’accord sur le nucléaire iranien était un « désastre »…

Pourtant, l’accord de 2015 était un pari raisonnable sur une réintégration progressive de Téhéran dans l’arène diplomatique, limitant le clan des « durs », aidant les démocrates de l’intérieur, éloignant le spectre d’un Iran doté de l’arme nucléaire.

Entre 2015 et 2018, Téhéran, faut-il le rappeler, a scrupuleusement respecté ses engagements, détruisant ou désactivant des centrifugeuses, laissant entrer les inspecteurs, etc. Ce sont les Américains qui ont tout bazardé. Le retrait unilatéral de mai 2018 a été suivi, pendant quelques mois, d’efforts futiles des Européens pour limiter l’effet des sanctions américaines.

Puis à partir de 2019, sans se retirer en bloc de l’accord, Téhéran a répondu à la gifle de Trump en annonçant de petites dérogations graduelles : des centrifugeuses ont été réactivées, le niveau de concentration de l’uranium a dépassé les niveaux autorisés, les stocks ont gonflé, etc.

C’est dans ce contexte que survient aujourd’hui l’audacieuse « main tendue » de Joe Biden à Téhéran, et l’appel aux Européens pour qu’ils jouent les intermédiaires. On demande à l’Iran de revenir au strict respect de ses engagements de 2015, en échange de quoi, simultanément, Washington s’engage à revenir au statu quo ante de 2018, avant que Trump ne déchire l’accord.

En Iran, où l’équilibre interne a de toute évidence évolué en faveur des « durs » depuis trois ans, on prend avec dédain cette véritable ouverture en provenance des États-Unis. Il y a là une part de posture, mais aussi un sentiment de supériorité morale — c’est bien l’autre camp qui a trahi l’accord, pas nous !

Téhéran demande donc, comme préalable à toute discussion, « la levée totale et immédiate de toutes les sanctions ». Position maximaliste, puisque même en 2018, avec un accord qui fonctionnait, certaines sanctions étaient toujours en place.

Avec une menace immédiate : si cette condition n’est pas remplie dans les prochains jours, l’Iran bloquera dorénavant les visites inopinées des inspecteurs nucléaires de l’ONU.

Ce serait une véritable escalade, pouvant tuer dans l’œuf toute tentative de reprise du dialogue entre l’Iran et le reste du monde. Parions que cela n’arrivera pas.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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