Ce qu’il vaut mieux taire

Les libéraux qui reviennent sans cesse à la charge pour réclamer une enquête publique sur la gestion de la pandémie se souviennent bien de ce qui est survenu en 2011. Pendant des mois, le gouvernement Charest avait refusé d’en déclencher une sur la collusion et la corruption dans l’industrie de la construction, mais il avait finalement dû céder sous la pression de l’opinion publique.

La situation actuelle est cependant très différente. À l’époque, le PLQ, déjà usé par huit ans de pouvoir, était en chute libre dans les sondages et ne recueillait plus que 26 % des intentions de vote. Près de trois Québécois sur quatre (73 %) se disaient insatisfaits du gouvernement Charest et 77 % réclamaient une enquête. Aux dernières nouvelles, les intentions de vote pour la CAQ frisaient les 50 % et le taux de satisfaction du gouvernement Legault avoisinait les 70 %. À l’extérieur de l’Assemblée nationale, on ne sent pas un si grand appétit pour une enquête publique. Et quand la pandémie sera chose du passé, la population ne demandera sans doute pas mieux que de passer à autre chose.

Le premier ministre n’en fait pas moins un mauvais procès à l’opposition en l’accusant de ne pas faire confiance à la commissaire à la santé, Joanne Castonguay, qui doit faire rapport d’ici le 1er septembre 2021. Personne ne conteste la compétence et l’indépendance de Mme Castonguay, c’est plutôt l’étroitesse de son mandat qui pose problème. Il consiste à « évaluer la performance du réseau de la santé, incluant les interventions en matière de santé publique, spécifiquement pour les gestions des soins et de l’hébergement des aînés dans le cadre de la COVID-19 ».

« Spécifiquement » n’est pas synonyme d’« exclusivement ». Rien n’interdit à la commissaire à la santé de déborder du cadre des CHSLD et des résidences pour aînés, mais il est clair que l’essentiel de son rapport y sera consacré. Si le triste sort réservé aux personnes âgées constitue assurément l’aspect le plus sombre de la pandémie, on ne peut pas faire abstraction des lacunes et des lenteurs dans la gestion plus globale de la crise sanitaire, non seulement au sein du réseau de la santé, mais dans la prise de décision au niveau politique.

L’opposition libérale a raison de craindre que l’enquête de Mme Castonguay soit le prélude à un procès de la réforme Barrette. Dès le départ, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a souligné que « bien avant la pandémie, on savait qu’il y avait plusieurs difficultés dans les milieux de vie pour aînés ». Sa collègue responsable des Aînés, Marguerite Blais, a renchéri : « Déjà fragilisés avant la pandémie, les milieux de vie des personnes hébergées avaient besoin depuis trop longtemps d’une attention particulière. »

La politique étant ce qu’elle est, les membres du gouvernement Legault ne manquent aucune occasion de faire diversion en blâmant « l’ancien gouvernement ». S’il est vrai que ce dernier doit porter une large part de responsabilité pour l’incapacité d’assurer la sécurité des personnes âgées et pour la lourdeur du réseau de la santé en général, rappeler ses erreurs ne nous apprendra rien de neuf.

Il est également malheureux que la commissaire à la santé ne tienne pas d’audiences publiques. « La réalisation de plus d’une centaine d’entrevues, un appel à témoignages et l’analyse poussée des données de la RAMQ et du MSSS est la voie privilégiée pour analyser la performance du système de soins aux aînés dans le contexte de la COVID-19 », a-t-elle indiqué d’entrée de jeu. Ceux qui consentent à témoigner doivent s’engager à ne rien révéler de ce qu’ils pourraient apprendre à l’occasion de leur comparution.

Ce n’est pas le rapport de la commission Charbonneau qui a eu le plus grand retentissement. La dissidence du commissaire Renaud Lachance, qui a refusé de conclure à l’existence d’un lien, même indirect, entre l’octroi des contrats publics et les contributions à la caisse libérale, a constitué une grande déception et a réduit considérablement son impact.

Ce sont plutôt les audiences télévisées qui ont marqué les esprits. On a battu les records d’écoute établis sept ans plus tôt par la commission Gomery, qui avait enquêté sur le scandale des commandites. Ce défilé d’hommes d’affaires véreux, de fonctionnaires corrompus, de politiciens hypocrites et sans scrupule a provoqué une profonde et durable indignation.

On peut imaginer l’effet qu’aurait le témoignage public de ceux et celles qui ont vécu l’horreur en première ligne durant la pandémie. Comment ne pas s’émouvoir de la détresse du personnel épuisé, privé de l’équipement nécessaire et dont les appels au secours se sont perdus dans les dédales de la bureaucratie, pendant qu’on assurait à la population que tout était sous contrôle ? Son gouvernement a beau atteindre des sommets de popularité, M. Legault n’a certainement pas envie de choquer les électeurs à 18 mois du prochain scrutin.

À voir en vidéo