Le cheval sorti de l’écurie

Collectionner les chapeaux peut parfois placer celui qui les porte dans une situation délicate. Ainsi, en sa qualité de leader parlementaire du gouvernement, il est revenu à Simon Jolin-Barrette, également ministre responsable de la Langue française, de s’opposer à la tenue d’un débat sur la motion que le PQ a présentée mardi à l’Assemblée nationale, qui réclamait que les 100 millions prévus pour l’agrandissement du collège Dawson soient plutôt investis dans le réseau collégial francophone.

La motion rappelait que, pour l’année 2021, les places dans le réseau collégial anglophone dépasseraient celles qui sont disponibles dans le réseau francophone sur l’ensemble de l’île de Montréal. Si on y ajoute le fait que la majorité de ces places sont occupées par des étudiants non anglophones, cela devrait préoccuper un homme qui se dit déterminé à enrayer le recul du français. M. Jolin-Barrette a promis des « mesures costaudes » pour renforcer la loi 101. C’est comme s’il s’apprêtait à fermer la porte de l’écurie une fois que le cheval sera sorti.

Dès le départ, l’inclusion d’un ajout de 10 000 mètres carrés à la superficie du cégep Dawson dans la liste annexée au projet de loi 61 sur l’accélération de certains projets d’infrastructure avait provoqué une levée de boucliers. De nombreuses corrections y ont été apportées dans sa deuxième mouture, qui a été adoptée en décembre dernier, mais l’expansion de ce qui est déjà le plus gros cégep au Québec a été maintenue.

  

M. Jolin-Barrette a profité de la période des Fêtes pour se plonger dans le livre de Frédéric Lacroix, Pourquoi la loi 101 est un échec. On verra bien ce qu’il en aura retenu, mais cela lui a certainement donné à réfléchir, non seulement à la question du cégep, mais aussi aux nombreuses lacunes de la loi dans son état actuel et à la procrastination des gouvernements précédents.

Non seulement le collège Dawson accueille une majorité d’étudiants non francophones, mais il accepte seulement 30 % de ceux qui font une demande d’admission, choisissant ceux qui ont les meilleures notes, ce qui entraîne un plus haut taux de diplomation, alors que le réseau français se voit forcé d’accueillir davantage d’étudiants plus faibles et a conséquemment un taux de diplomation moins élevé.

De façon générale, 90 % des étudiants allophones et 80 % des francophones inscrits dans un cégep anglais disent avoir l’intention de poursuivre leurs études universitaires dans un établissement de langue anglaise, selon une étude de l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA) publiée en 2010. Il serait étonnant que ces chiffres aient beaucoup changé depuis.

Un des objectifs de la loi 101 était d’empêcher les allophones — et les francophones — de s’assimiler à la communauté anglophone en fréquentant l’école primaire et secondaire anglaise. Autoriser leur passage au niveau collégial anglophone a clairement l’effet inverse.

  

Que le gouvernement Legault se refuse à l’interdire ne devrait pas surprendre outre mesure. Après tout, le gouvernement Lévesque ne l’a pas fait, ni aucun gouvernement péquiste par la suite. L’actuel chef du PQ, Paul St-Pierre-Plamondon, ne le préconise pas non plus. Dans son projet de loi 14, le gouvernement minoritaire de Pauline Marois avait proposé d’accorder la priorité d’admission aux cégeps anglophones à « la clientèle de langue anglaise », mais il n’a pas pu être adopté, la CAQ s’y étant opposée aussi bien que le PLQ.

Le gouvernement Legault ne se contente cependant pas de respecter le principe du libre choix. Alors que le réseau collégial francophone voit sa clientèle diminuer, il favorise sciemment son déclin en finançant l’expansion d’un établissement anglophone dont la croissance dépend précisément du recrutement d’étudiants francophones et allophones.

On pouvait toujours s’expliquer que le gouvernement Couillard, qui voulait plaire à son électorat et niait le recul du français, donne le feu vert au projet de Dawson, mais il est difficile de comprendre ce qui peut motiver le gouvernement Legault ? Il ne peut pas penser sérieusement que cela lui gagnera des appuis parmi les électeurs anglophones et allophones. Faut-il y voir une forme de compensation pour les « mesures costaudes » à venir ?

M. Legault dit vouloir tenir compte du désir des jeunes francophones d’apprendre l’anglais. Fort bien, mais c’est aussi le désir de la plupart des jeunes dans le monde et ils y parviennent sans avoir accès à un enseignement préuniversitaire public en anglais. À ce compte, il faudrait aussi ouvrir l’accès à l’école primaire et secondaire anglaise, puisqu’une majorité de francophones (53 %) y seraient favorables, selon un sondage Léger-Le Devoir réalisé en 2017 à l’occasion du quarantième anniversaire de l’adoption de la loi 101.

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