Les bonnes intentions
Quand elle a été nommée ministre de la Santé, il y a plus de deux ans, Danielle McCann a décrété la fin de l’omerta imposée au réseau de la santé par son prédécesseur libéral, Gaétan Barrette. En guise de preuve, elle avait ouvert une boîte à courriel pour permettre aux employés du réseau de la santé de dénoncer les manquements dont ils étaient témoins. François Legault avait été clair : la transparence allait être la marque de commerce de son gouvernement.
Mme McCann était sans doute bien intentionnée, mais on ne change pas une culture fondée sur la peur en criant ciseaux. Encore faut-il que les principaux intéressés se sentent réellement libres de s’exprimer sans s’exposer à des représailles. L’automne dernier, le porte-parole du Regroupement québécois des médecins pour la décentralisation des soins de santé, le Dr Vincent Bouchard-Duchêne, affirmait que l’omerta existait toujours dans le réseau. La pandémie n’a certainement rien fait pour arranger les choses.
Il est vrai que l’exemple vient de haut. Si la quasi-totalité des médias québécois ont senti le besoin de faire front commun pour demander au gouvernement d’ouvrir les portes des hôpitaux aux journalistes et faire en sorte que la population voit ce qui s’y passe réellement, c’est que les démarches individuelles qu’ils ont multipliées depuis des mois se sont heurtées à une fin de non-recevoir approuvée, pour ne pas dire encouragée, par le bureau du premier ministre.
Ceux qui sont sur la première ligne de la lutte contre la pandémie, médecins, infirmières, préposées, souhaitent au contraire que les journalistes puissent témoigner de la gravité de la situation et des difficultés qu’ils rencontrent quotidiennement. Demander quel intérêt le gouvernement pourrait bien avoir à s’y opposer semble presque répondre à la question. Si l’objectif premier est de présenter à la population la réalité de la pandémie au-delà des statistiques sur les hospitalisations et les patients aux soins intensifs, il est certain que les médias ne manqueront pas de souligner les lacunes qu’ils pourraient constater ou encore l’épuisement d’un personnel qui n’en finit plus de lancer des appels au secours.
Au printemps dernier, la révélation par le Montreal Gazette du drame survenu au CHSLD Herron a marqué un tournant. La population a soudainement pris conscience que les assurances que tout allait bien aller masquaient peut-être la réalité et que toutes les précautions n’avaient peut-être pas été prises. En revanche, les gouvernements ont tendance à voir les journalistes comme des gens mal intentionnés, qui ne cherchent qu’à leur mettre des bâtons dans les roues. En temps de crise, cela peut même dégénérer en paranoïa.
Si la réforme Barrette a été dénoncée sur tous les tons, certains doivent se féliciter secrètement que la centralisation et le régime de terreur imposés au réseau de la santé permettent de tenir plus facilement la presse à distance. Ils peuvent se sentir d’autant plus autorisés à le faire que la population demeure remarquablement satisfaite de la façon dont le gouvernement gère la crise. Il faut reconnaître que dans ses points de presse, le premier ministre Legault projette une image de sincérité telle que plusieurs sont disposés à lui donner le bon Dieu sans confession.
Il y a pourtant des endroits où la situation était encore plus grave qu’au Québec, notamment en Europe, et où les médias ont non seulement accès aux hôpitaux, mais où leurs reportages sont perçus comme une importante contribution à l’effort des autorités publiques pour convaincre la population de respecter les consignes sanitaires.
L’accueil que le gouvernement a réservé à la démarche des médias semble encourageant, mais on a souvent vu le diable qui se cache dans les détails faire dérailler les meilleures intentions. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, s’en est remis au directeur de la santé publique, le Dr Horacio Arruda, et lui a simplement demandé « s’il est possible de requestionner cette décision-là ».
Le Dr Arruda a répondu qu’« on va probablement arriver à une solution », mais que les médias ne pourraient avoir accès aux hôpitaux que « sous conditions, sous règles claires, sous protocole… » et que cela ne devrait pas leur conférer des avantages indus par rapport à ce qui est imposé aux proches des patients. Pour peu que la bonne volonté fasse défaut, tout cela pourrait se traduire par de sérieuses limitations.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire et on ne peut qu’applaudir les bonnes intentions, mais la preuve d’un réel désir de transparence reste à faire. Il y a dix jours, M. Legault s’est engagé à rendre publics les avis de la Direction de la santé publique, dont il avait nié l’existence pendant des mois. On les attend toujours. Bien sûr, il a bien d’autres chats à fouetter, mais il ne faudrait quand même pas qu’il oublie.
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Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.