Cliche pour la science

Chroniqueur scientifique au quotidien Le Soleil et au magazine Québec Science depuis de nombreuses années, Jean-François Cliche n’a pas froid aux yeux et ne craint pas d’aborder les sujets qui fâchent. Comme son frère d’armes le Pharmachien, Cliche ne jure que par la science et n’hésite pas, s’il le faut, à prendre le contre-pied d’idées qui ont cours dans l’espace public ou médiatique, quitte à être accueilli avec une brique et un fanal par les groupes de pression en tous genres.

Dans Pandémie, quand la raison tombe malade (Boréal, 2020), le physicien Normand Mousseau, qui critique sévèrement le travail des médias en matière d’information scientifique, range Cliche, avec Valérie Borde, de L’Actualité, parmi les meilleurs de leur profession, c’est-à-dire parmi ceux qui « ont compris que le vrai journalisme scientifique requiert beaucoup plus d’efforts que d’aligner les commentaires d’experts à la suite d’un article ».

Dans Fake news : le vrai, le faux et la science (Multimondes, 2020, 306 pages), Cliche a regroupé plus de 80 de ses chroniques traitant autant de santé et d’environnement que de sujets sociaux. Exercices de vérification factuelle — on le dit, on l’entend, mais est-ce scientifiquement fondé ? —, les textes de Cliche se divisent en quatre grandes catégories : les réfutations de « vraies faussetés », les mises au point sur les « demi-vérités », la critique des « biais médiatiques » et la présentation d’affirmations parfois surprenantes — oui, les hirondelles et les moineaux se font de plus en plus rares au Québec — qui résistent à l’analyse. L’ensemble est une stimulante leçon de lucidité scientifique.

Parmi les faussetés réfutées par le journaliste, on trouve bien sûr quelques classiques. Suivant sa méthode qui consiste à se fonder sur les études les plus sérieuses, Cliche redit, en effet, que l’homéopathie ne fonctionne pas, que les adjuvants aluminiques contenus dans les vaccins sont essentiellement sans danger et que la consommation massive de fruits et de légumes n’est pas une thérapie valable contre le cancer.

Vérifications scientifiques faites, précise-t-il aussi, « la graphologie échoue systématiquement à prédire les traits de personnalité » et le curcuma n’a malheureusement pas les vertus qu’on lui prête pour prévenir ou guérir les maladies. Ce qui marche en éprouvette ne se confirme pas dans le système digestif.

Au sujet des OGM, Cliche ne se fait pas d’amis parmi les écologistes en concluant qu’ils seraient sans danger pour la santé humaine. Dans un autre dossier délicat, le journaliste, qui a une formation en histoire, rejette, en citant les historiens Denys Delâge et Jean-François Lozier, l’affirmation selon laquelle Montréal serait un « territoire mohawk non cédé ». Il y a bien eu des Iroquoïens sur ce territoire avant le XVIIe siècle, mais ce n’était pas des Mohawks et ils n’étaient plus là au moment de la fondation de Montréal.

L’analyse des demi-vérités exige plus de doigté puisque nous sommes, ici, dans les zones grises. Est-il vrai, par exemple, que les homards peuvent ressentir la douleur et souffrir d’anxiété, ce qui justifierait de les étourdir avant de les ébouillanter — ou de ne pas les manger — et que les cochons entretiennent des espoirs ? Étant donné l’impossibilité de se mettre dans la tête d’un animal, les experts cités par Cliche avancent prudemment et, parfois, se contredisent. Comme le doute raisonnable s’impose, on peut au moins, par sensibilité, épargner l’inutile brutalité aux animaux.

Cliche s’attaque enfin aux « biais médiatiques », qui incitent trop souvent les journalistes non à mentir, certes, mais à jouer la carte du sensationnalisme et de l’alarmisme. Le cas du glyphosate (Roundup), à cet égard, est révélateur. Le produit, reconnaît Cliche, est toxique, mais il l’est moins « que la plupart des autres produits équivalents ». En 2015, toutefois, le très crédible Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé l’herbicide comme « cancérigène probable ».

Dans les années suivantes, les médias québécois ont consacré des tonnes d’articles à cette affaire, en choisissant comme référence principale (80 % des mentions) l’avis du CIRC. Pourtant, dans ce dossier, cette agence est très isolée puisque les autres instances sanitaires ne partagent pas sa conclusion. Citer le CIRC est parfaitement légitime, souligne Cliche, mais le citer quatre fois plus souvent que toutes les autres instances réunies, alors qu’il est seul dans son camp, témoigne d’un évident biais médiatique.

Cliche n’est pas un militant qui instrumentalise la science pour faire valoir ses opinions. Sa seule cause, en tant que journaliste, est la reconnaissance de la valeur de l’éclairage de la science dans la compréhension du monde. C’est ce qui fait le grand intérêt de son travail.

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