Un vaccin contre l’incertitude

Selon un sondage Ipsos/Radio-Canada rendu public la semaine dernière, 71% des Canadiens ne se bousculeront pas pour recevoir le précieux sérum, même si les deux tiers comptent se faire vacciner.
Photo: Angela Weiss Agence France-Presse Selon un sondage Ipsos/Radio-Canada rendu public la semaine dernière, 71% des Canadiens ne se bousculeront pas pour recevoir le précieux sérum, même si les deux tiers comptent se faire vacciner.

Le vaccin arrive et nous inoculera de l’espoir, une dose de certitude en ces temps mouvants. Alléluia. Peut-on encore exprimer des réserves sans être étiqueté d’antivax ? Comme l’écrivait le philosophe et sociologue Edgar Morin sur Twitter : « Toute contestation d’une affirmation officielle ou d’une croyance largement répandue peut être désormais considérée comme complotiste. »

Selon un sondage Ipsos/Radio-Canada rendu public la semaine dernière, 71 % des Canadiens ne se bousculeront pas pour recevoir le précieux sérum, même si les deux tiers comptent se faire vacciner. Même si je me suis roulé la manche en 2009 avec la H1N1, ce n’est pas l’acte de bravoure de messieurs Clinton, Bush et Obama qui calmera mes appréhensions cette fois.

On sent que la volonté politique a pris le pas sur la santé publique dans l’urgence de « faire » quelque chose. Même le célèbre Dr Fauci accuse les Brits d’être allés un peu vite en affaire pour autoriser la distribution du vaccin de Pfizer.

J’ai voulu entendre quelques experts moins connus du public à ce sujet.

Michel Rochon est président de l’Association des communicateurs scientifiques du Québec, journaliste scientifique retraité des émissions Découverte et Enquête, chargé de cours en journalisme à l’UQAM. «Jamais on n’a fait de vaccins aussi rapidement pour des milliards de personnes en même temps. Ce n’est que de l’argent, en fin de compte, de gros contrats. Il n’y a pas de vaccin parfait. Ce qu’on sait, c’est qu’en phase 3, il y a eu un minimum d’effets négatifs. Mais 1 sur 30 000, ça donne quoi sur trois milliards de personnes ? On ne le sait pas encore.

Le vaccin s’en vient et on veut être le plus possible à la ligne d’arrivée

 

« J’ai fait, il y a quelques années, un fellowship au MIT en journalisme scientifique. On a eu le directeur de la FDA devant nous durant une journée. La FDA, qui n’a pas l’argent qu’elle avait jadis, est payée par les compagnies pharmaceutiques pour la vérification des résultats. Elles arrivent et mettent quelques millions sur la table pour qu’ils les approuvent. Ça met une pression aussi.

« Le vaccin n’a pas été testé assez longtemps ? Mais qui veut attendre ? Historiquement, chaque fois qu’un vaccin arrive dans les grandes épidémies, on est en phase descendante. C’est la première fois de notre vie qu’on suit aussi intensément la science, en direct, dans la gestion d’une pandémie. Même les plus grandes sommités n’en savent pas autant que nous l’aimerions. On est chanceux, le virus n’est pas si mortel. Ce n’est pas la peste ni la variole.

L’art de la santé publique est dans l’équilibre entre les risques et les gains. Or, cet équilibre n’est pas scientifique, mais politique.

 

« Ce n’est pas tout noir ou tout blanc, la science. Il faut la questionner, comme la politique ! Tout est dans les teintes de gris. La question n’est pas tant : “ Est-ce que je préfère être un cobaye ou attraper la COVID ?” La question est :  “Être un cobaye pour ce vaccin en vaut-il la peine ?” En plus, des vaccins qui utilisent des bouts d’ARN, c’est nouveau. Ils prennent un risque. C’est un vaccin qui va peut-être causer des décès, mais sauver beaucoup plus de vies. Trudeau ne peut pas imprimer 300 milliards de dollars chaque année. Dans une société gâtée qui croit en une pilule magique, le vaccin est perçu comme notre bouée de sauvetage. »

Pierre Biron était professeur en pharmacologie médicale à l’Université de Montréal et chercheur en pharmacovigilance. L’universitaire retraité fait partie d’un think tank d’une centaine de scientifiques internationaux qui échangent sur l’évaluation des vaccins contre la COVID. Ils ont filtré des centaines d’articles scientifiques sur la question.

« Il y a beaucoup de lacunes, d’omissions, d’exagérations dans la documentation sur ces vaccins. Il faut de l’expérience et un peu de flair pour savoir si ce qu’on lit est valide ou non. On ne divulgue que les bonnes nouvelles. Et les études sont longues à lire et à analyser.

« On n’a pas étudié la contagiosité et on ne connaît pas la durée de protection. Les informations sont transmises au compte-gouttes et changent chaque jour. Pour l’instant, on ne connaît pas l’effet sur les vieillards ni sur les patients qui ont des maladies chroniques, des allergies, des troubles immunitaires, ni sur les enfants ou les adolescents. Le vaccin n’est pas recommandé aux femmes enceintes ni à celles qui allaitent. On ne connaît pas l’impact sur la fertilité.

« Au tout début des annonces d’efficacité, on avait juste regardé si les volontaires avaient des symptômes. On ne savait pas si ceux qui contractent la maladie seront moins hospitalisés (ce serait déjà un bon motif), iront moins aux soins intensifs, mourront moins ou auront moins de complications. Normalement, ces vaccins auraient dû être étudiés plus longtemps.

« Il y a une omerta de longue date et un manque de transparence en vaccinologie par rapport à d’autres domaines des produits pharmaceutiques. C’est un monopole d’une douzaine de compagnies dans le monde. Et elles ont une impunité juridique s’il y a des effets secondaires. De plus, elles n’ont qu’un seul client par pays : la Santé publique, ici et ailleurs, ce qui simplifie le lobbying. L’industrie influence la santé publique aux États-Unis et ici aussi. Souhaitons que, malgré un manque de transparence et de rigueur, les vaccins soient suffisamment efficaces et sécuritaires. Mais pour l’instant, on ne le sait pas. »

Gary Kobinger est professeur-chercheur au Département de microbiologie-infectiologie et immunologie à l’Université Laval. Prix du Gouverneur général pour l’innovation en 2018, il a développé avec son équipe un vaccin efficace contre le virus Ebola.

« Un vaccin qui va être administré dès décembre, c’est une super nouvelle. Il y a une hystérie de masse, on veut un vaccin à tout prix. Mais le nombre de doses sera réduit, c’est important d’y aller par étapes pour continuer à accumuler des données de sécurité. Sur 60 000 personnes, on peut ne pas détecter un élément toxique. Deux événements sur 35 000, ce n’est pas assez. Mais en vaccination, 1 sur 1 million, c’est de mauvais œil, même 1 sur 100 000, c’est inquiétant. Il est difficile de jauger le vrai risque, mais on ne peut pas ne rien faire en attendant. L’analyse risques / bénéfices en haut de 80 ans n’est pas la même qu’entre 5 et 14 ans, où c’est très faible.

Mon tour viendra après toutes les personnes vulnérables de la planète. La piqûre risque de me faire très mal si je passe devant ceux et celles qui en ont le plus besoin.

 

« Selon moi, le vaccin n’a pas été élaboré trop vite parce que nous avons un problème de santé publique. Les gens vont devoir signer pour être d’accord avec le risque avant d’être vaccinés. Oui, c’est une nouvelle technologie avec l’ARN, mais on ne va pas revenir à l’âge de pierre comme avec les vaccins pour l’influenza.

« Ce qui me rend nerveux, c’est quand on dit dans les médias que Santé Canada a approuvé le vaccin. L’approbation est intérimaire, ce qui donne la possibilité d’adapter les recommandations, donc ce n’est pas une homologation finale. C’est pour ça qu’une communication claire est essentielle. Il faut continuer d’accumuler des données de sécurité/innocuité et poursuivre les analyses de risques/bénéfices pour chaque sous-groupe et être 100 % transparent et clair dans la communication.

« Après seulement une journée en Angleterre, on a deux réactions anaphylactiques… De dire mercredi sur CBC que ce vaccin est aussi sécuritaire que tous les autres sur le marché, en mettant un haut dirigeant de Pfizer comme source…. Vraiment, ça devient inquiétant, quelqu’un pourrait même argumenter que c’est de la propagande.

« Je pense qu’on peut s’attendre à une transmission réduite du virus même si on ne sait pas encore tout. Je m’attends à des effets secondaires et je crains que ça mine la confiance du public envers la vaccination en général. On ne connaît pas ce que ça va donner sur les gens qui ont des comorbidités (diabète, etc.). J’ai bon espoir que Santé Canada fournira l’info en temps réel.

« J’aurais donné le vaccin Ebola à mes trois enfants — de 9 à 22 ans —, mais pas celui-ci. Ils ne sont pas à risque ni prioritaires. Mais si j’avais 80 ans, j’irais me faire vacciner. »

cherejoblo@ledevoir.com

Joblog

Lu avec intérêt ces deux articles sur les vaccins contre la COVID-19 de Peter Doshi, éditeur associé du British Medical Journal (BMJ) et assistant professeur à l’école de pharmacie de l’Université du Maryland. L’un nous explique comment a été établi le taux de 95 % d’efficacité (risque absolu versus risque relatif) et décortique la façon dont la recherche a été faite. L’autre, « Will Covid-19 vaccines save lives ? Current trials aren’t designed to tell us », nous démontre que le vaccin n’est pas conçu pour empêcher la contagion, notamment. Ne rangez pas vos masques…

Aimé la dernière livraison de la revue Relations, « La santé au-delà de la médecine ». Dans une société obsédée par la santé, au point d’y consacrer la moitié du budget de l’État, on prend ici un pas de recul, avec notamment une approche plus globale, en médecine intégrative. Le philosophe Jacques Dufresne dénonce notre dépendance excessive à l’endroit de la médecine et souligne qu’elle « n’est qu’un des déterminants de la santé, qui ne doit pas éclipser les autres ». 

La raison malade?

Il n’est ni complotiste ni antivaccin, plutôt professeur de physique à l’Université de Montréal et directeur de l’Institut de l’énergie Trottier. Et il met tout en question. Ce chercheur-vulgarisateur vient de publier Pandémie, quand la raison tombe malade. J’ai longuement conversé avec lui sur son livre, une critique musclée des politiques de santé publique et de la couverture médiatique qui s’en est suivie. J’ai apprécié la partie critique de son essai sur la recherche, la science et le peu de réels commentateurs scientifiques indépendants dans les médias. « Il y a peu de critiques à l’endroit des mesures imposées », pense Normand Mousseau, qui perçoit davantage de grogne en Angleterre, en France ou en Allemagne. Il reproche au gouvernement de ne pas avoir axé son approche sur le dépistage et la recherche des contacts, comme en Corée du Sud, et de manquer de vision. « Au Québec, on n’a pas les moyens de tracer, on enferme le monde. Si on voit que le vaccin ne fonctionne pas ou qu’il a trop d’effets secondaires, on fait quoi ? On reconfine six mois ? Je suis estomaqué ! » Lecture de Noël pour François Legault ? 

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.



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