C’est l’intention qui compte

On tournait autour du pot depuis des semaines, disant qu’il faudrait bien que les gens établis au campement Notre-Dame entendent raison, rapaillent leurs affaires et se dirigent vers les ressources offertes pour l’hiver. L’administration Plante a tout fait pour préserver son image empathique, soutenant d’un côté qu’il faudrait, oui, démanteler le camp, mais qu’on n’utiliserait pas la force, non, bien sûr que non, et qu’après tout, son plan d’aide hivernale était d’une générosité inédite.

Ce n’est pas faux, remarquez, mieux vaut ce plan que rien du tout. Mais il ne suffit pas toujours de revêtir les habits de la charité pour promouvoir la dignité de chacun. Et justement, on ne s’est pas beaucoup soucié de la parole des personnes visées par ce plan hivernal. Plusieurs soutiennent que les refuges, les hôtels et les haltes ont beau être chauffés, il faut renoncer à beaucoup de choses pour s’y sentir chez soi. Restrictions en ce qui concerne les allées et venues, sobriété exigée, intimité limitée, interruption du service à l’arrivée des beaux jours ; cela peut sembler anodin, mais si des gens préfèrent passer l’hiver dans une tente, c’est qu’il ne s’agit pas d’un simple caprice.

Peut-être qu’on devine, derrière cet empressement à diriger les gens vers les ressources organisées, une volonté de purger l’espace public de ce qui est encombrant ; de ce qui donne à voir les fractures sociales qui s’aggravent, alors que de plus en plus de gens sont poussés au seuil de l’itinérance.

C’est ainsi que, lundi matin, on a procédé au démantèlement du campement Notre-Dame. On a sorti tout l’attirail pour l’occasion : escouade antiémeute, vaste périmètre de sécurité — le visage même de la charité bien ordonnée. Les campeurs ont dû laisser derrière eux tentes, bâches et autres effets personnels. En principe, la Ville proposait de tout entreposer, mais en fin de journée, bien des choses ont été raflées par les éboueurs. Les délogés se sont-ils dirigés gaiement vers les refuges ? Mais non, soulignait le FRAPRU en marge de l’opération, bien des campeurs seront simplement poussés à reconstruire leur abri ailleurs, plus loin du cœur de la ville, plus loin des ressources, de leur réseau. Voyez-vous, on ne peut pas effacer les conséquences de la crise du logement comme on rase un campement.

Le même jour, dans un autre monde, le Ritz-Carlton était plongé dans un drôle d’embarras, « victime » de la popularité de sa campagne du temps des Fêtes sur les réseaux sociaux. L’hôtel s’était engagé, dimanche, à offrir, en partenariat avec Décarie Motors et le groupe Vo-Dignard Provost, un jouet pour le Grand Sapin du CHU Sainte-Justine pour chaque partage de sa publication. Mais après plus d’un million de partages, on s'est contenté de rappeler que le Ritz avait remis 100 000 $ en argent, biens et services à la Fondation du CHU Sainte-Justine depuis 2012. La Fondation a réagi avec ambivalence : cette campagne aurait pu être préparée en amont, soulignait-on. »

Il s’est trouvé bien des internautes pour souligner le caractère grossier de l’initiative. Un hôtel soutenu par le plus gros conglomérat hôtelier au monde fait tous les jours la promotion de ses forfaits d’une nuitée à 499 $ et de ses menus cinq services à cuisiner chez soi pour 250 $ mais, une fois l’an, elle s’allie à un concessionnaire automobile de luxe et à un groupe d’investissement pour « gâter » des enfants malades, sous les yeux émerveillés de sa clientèle. Par où commencer ?

Le Ritz repousse les frontières de la vulgarité caritative, mais le marketing déguisé en engagement social débarque chaque année, en même temps que la musique de Noël. Les traits ne sont pas toujours aussi gras, mais la logique est la même : à l’approche de Noël, les organisations qui ont des moyens ainsi qu’un accès privilégié à des circuits de communication stimulent la générosité du grand public en vantant la leur. Une fois l’an, le capital se fait le porte-voix des groupes qui, à longueur d’année, s’engagent dans la lutte contre la pauvreté, la maladie, l’isolement social. Et à force, on finit par ne voir que ça ; par accepter la charité, la logique du don, comme une méthode légitime pour atténuer les inégalités sociales. Pour autant que ce soit fait avec élégance.

Dans la foulée des critiques adressées au Ritz, un nombre incalculable de personnes ont souligné qu’il valait mieux donner directement à la Fondation du CHU Sainte-Justine ; une réelle façon de « faire la différence » sans se laisser séduire par une stratégie marketing intéressée. Selon cette logique, le seul péché du Ritz serait sa vanité. Bien peu de gens — c’était déprimant — ont remis en question la montée en force des modèles philanthropiques pour répondre aux besoins sociaux et pallier le sous-financement des institutions publiques.

Non, la « générosité » (la vraie, du moins) semble clore tous les débats. Qu’il soit question d’offrir un refuge pour l’hiver à des personnes sans abri même si elles expriment que cela ne répond pas à leurs besoins ou qu’il s’agisse de remettre une cargaison de jouets à un hôpital qui a sans doute des besoins plus criants. Mais allons, il n’y a rien à redire, car après tout, c’est l’intention qui compte.


 

Une version précédente de cette chronique, qui indiquait erronément que le Ritz avait promis de remettre 100 000 $ à la Fondation plutôt qu'un jouet par partage, a été modifiée.

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