Critique du confinement
En matière de prévention de la COVID-19, j’adhère à la thèse majoritaire qui affirme que, puisque le virus tue à grande échelle, il importe de le combattre avec des moyens radicaux. Depuis le début de la crise, je n’ai pas trouvé de raisons valables de critiquer les décisions prises par le gouvernement Legault. Le confinement sévère fait des ravages sur les plans économique et psychologique, mais la gravité de la situation — plus de 150 000 cas et plus de 7000 décès au Québec — l’impose.
Il est vrai que, dans les circonstances, je fais partie des privilégiés. Je ne suis pas malade, je n’ai pas perdu mon emploi, et la suspension de multiples services à la population ne m’a pas directement affecté. Trouver ça plate, ça s’endure, surtout quand on aime la lecture. Perdre son emploi et des services essentiels, c’est plus dur.
Et voilà que je lis Pandémie, quand la raison tombe malade (Boréal, 2020, 240 pages), du physicien Normand Mousseau. Ce scientifique, spécialiste des politiques énergétiques et climatiques qui mène actuellement des recherches sur la COVID-19, réfléchit toujours avec brio et indépendance aux liens entre la science et la société, dans des ouvrages rigoureux et accessibles. Sa contribution au débat public est précieuse. Elle ne manquera pas, cette fois, de susciter la controverse.
Mousseau, en effet, tout en reconnaissant la dangerosité du virus, critique la politique du confinement mur à mur, « une approche médiévale », les « experts sans imagination, dotés d’une vision réductrice », qui l’ont appuyée et les médias alarmistes qui l’ont relayée sans esprit critique. Le Québec, dit-il, aurait pu faire mieux en suivant « l’approche rationnelle et profondément démocratique retenue par la Suède ».
Au moment où ces lignes sont écrites, toutefois, le pays scandinave est aux prises avec une importante recrudescence de l’épidémie, ce qui ébranle la thèse des partisans de ce modèle. Pour la période associée à la deuxième vague (d’août à novembre), la Suède compte deux fois plus de cas (plus de 150 000) que le Québec (environ 75 000, début décembre).
Pourtant, précise Mousseau joint par courriel, le nombre de décès liés à la COVID-19 pendant cette période (713 au 26 novembre) y demeure moindre qu’au Québec (1145). Si on s’en tient à ces tristes statistiques, on doit constater que les deux sociétés, depuis le début de la crise, présentent de semblables bilans et qu’elles ont toutes les deux failli à protéger les personnes âgées les plus fragiles.
« Notre société, note toutefois Mousseau, ne se limite pas à une seule maladie ni même au seul secteur de la santé. Contrairement au Canada, des pays comme la Suède et la Corée du Sud ont gardé leurs écoles [primaires] ouvertes et maintenu leurs services sociaux durant toute la pandémie. » Le confinement généralisé est certes une mesure efficace pour combattre une pandémie, mais il ne va pas sans dommages collatéraux.
Il valait mieux, pendant le confinement, « être un homme riche et seul qu’une femme pauvre et en famille », écrit Mousseau pour résumer les dégâts engendrés par la suspension de divers services essentiels (banques alimentaires, écoles, transport bénévole, etc.), sans oublier les problèmes causés aux plus démunis et à certaines personnes âgées par le discrédit de l’argent comptant, en début de crise, et par l’obligation d’utiliser Internet pour avoir accès à plusieurs services.
Au nom de la santé publique, le confinement a créé des problèmes de santé publique, dans un contexte de démocratie quasi suspendue puisque les contre-pouvoirs habituels — médias et opposition — faisaient profil bas ou réclamaient encore plus de contraintes.
La critique de Mousseau, souvent juste, ratisse large. Elle blâme les scientifiques imprudents qui analysent tout au « filtre déformant » de leur discipline et sur la base d’études de laboratoire qui ne résistent pas à l’épreuve de « la vraie vie », les journalistes sans formation scientifique qui ont nourri abusivement le « camp de la peur » et les politiciens qui ont manqué de transparence.
« Nous écoutons la science », répétaient ces derniers pour justifier leurs décisions. « L’art de la santé publique, réplique pourtant Mousseau, est dans l’équilibre entre les risques et les gains. Or, cet équilibre n’est pas scientifique, mais politique. Il n’existe aucun critère absolu […] qui permette d’établir la règle parfaite. »
Dans cette quête d’équilibre, la science établie, à ce jour, nous guide, en indiquant que la COVID-19 frappe surtout les personnes âgées et malades, « ne survit pas longtemps sur les surfaces » et se transmet principalement par gouttelettes lors d’échanges rapprochés et assez longs.
Le message de Mousseau est simple : en attendant le vaccin, il faut trouver le moyen de combattre le virus sans créer de problèmes tout aussi graves.