À l’école de l’amour

Si nous vivions l’amour sur la pointe des pieds, à le humer comme un lilas et non comme un chrysanthème, nous n’en serions peut-être pas là à enterrer symboliquement trop d’amours encore vivantes.
Illustration: Quentin Gréban, illustrateur, éditions Mijade Si nous vivions l’amour sur la pointe des pieds, à le humer comme un lilas et non comme un chrysanthème, nous n’en serions peut-être pas là à enterrer symboliquement trop d’amours encore vivantes.

Cette semaine, un premier décembre qui sera le dernier, les deux « Christines », comme on les appelait, se sont séparées. Juste les corps, pas le cœur, pas l’âme surtout, ni les souvenirs. Christine « la petite » a tenu la main de Christine « la grande » qui s’est envolée sans douleur, sur les ailes de l’aide médicale à mourir, rendez-vous pris avec le Saint-Esprit. La petite va rester grande et la grande va devenir toute petite, comme une étoile au loin dans son firmament. Presque 20 ans d’amour dans le palpitant, et le crabe s’est glissé entre elles, tout près du cœur, ces dernières années. Un pronostic fatal de moins d’un an fut défié grâce à l’imagination et à l’amour.

Mais voilà, la jeune sexagénaire a décidé de tirer sa révérence mardi. L’amour ne peut pas tout. Nous savons, tous, ceux et celles qui ont vu les Christines se battre comme des démones, que leur amour a fait mieux sinon autant que la chimio et le chaman. Il les a soudées, les a portées au-delà du vivant. L’amour guérit beaucoup, des études le prouvent (comme si on en avait besoin). Cinq ans de survie au lieu de quelques mois, c’est énorme. Et s’il n’y a que des preuves d’amour, les vases communicants ont communiqué. J’ai envoyé aux Christines la chanson Sway de Dean Martin pour qu’elles se séparent dans un balancement. Sway me smooth, sway me now.

L’amour devrait se nourrir du rappel quotidien de notre finitude. Or, nous sommes le plus souvent des somnambules au royaume des émotions, vivant dans un déni profond. Nous tenons tout pour acquis, sans nous arrêter. Quelle bande d’ignares incompétents et de pathétiques zombis. Nous ne savons pas vénérer le précieux, cet Autre souverain qui tolère notre présence à deux centimètres de sa vulnérabilité.

Si nous vivions l’amour sur la pointe des pieds, à le humer comme un lilas et non comme un chrysanthème, nous n’en serions peut-être pas là à enterrer symboliquement trop d’amours encore vivantes.

Connectés

 

« La conquête et la reconquête de l’être aimé constituent une œuvre tout en nuances qui se construit de jour en jour, pour toujours », écrit le psychologue Marc Pistorio dans son dernier recueil de textes, Connecté à soi, connecté aux autres.

J’ai longuement parlé virtuellement avec ce psy au regard si aimant au début de l’automne, alors qu’il était en visite au Québec. C’était une conversation fluide et chaleureuse avec un homme de cœur. Je l’ai aiguillé sur le confinement et le couple, une partie de son livre. Comment survivre à tant de promiscuité ? Et tant d’unions n’ont pas tenu après le premier confinement, les notaires étaient débordés, notant plus du double de séparations cet été.

Une relation amoureuse ne survit pas à l’épreuve du temps si chacun ne se sent pas aimé hors de tout doute, si le lien est dénué d’un respect et d’un engagement manifeste

 

« À deux, on fait ce qui nous fait du bien. Tant pis si ce n’est pas socialement valorisé. Si faire l’amour tous les vendredis à 19 h 30 vous excite, ne changez rien ! Certains sont bien dans leur routine. » Selon le psy, le seul objectif à soutenir : « Est-ce que je suis dans l’apaisement ? On sait si on est dans la pulsion de vie ou de mort, la destruction. » Et l’un des signes qui ne mentent pas sur un amour qui cloche, c’est l’absence de regards. « Le regard, c’est ce qui part en premier chez les couples qui ne vont pas. » Marc Pistorio écrit aussi : « Les pandémies ne créent pas uniquement de nouveaux problèmes, elles révèlent et aggravent ceux qui existent déjà. »

Continuer à se séduire, à se donner des rendez-vous doux exige un peu de talent pour la danse. « Il faut une fluidité entre proximité et distance, ne pas s’oublier », ajoute le psy.

Quoi qu’il en soit, Pistorio nous incite à la vulnérabilité et à la vérité de soi dans ce dernier essai : « La vie est éreintante et étouffante derrière le masque de la fausseté ; elle se résume à une succession de défis relationnels perdus d’avance. Le bonheur, lui, ne réussit jamais à se frayer le chemin qui lui revient. »

Aimer s’apprend

On dit qu’avant deux ans ensemble, l’amour, ce n’est qu’une comédie romantique. Et la psychiatre Marie-Ève Cotton m’a aussi affirmé que le confinement de trois mois comptait pour une année complète de vie commune. Ajoutez ça à votre CV.

L’amour s’apprend, comme la cuisine, avec un peu de sriracha ou de sirop d’érable. On y trouve ce désir d’être « vu » par l’autre, comme dans transpercer l’être, son aura, ce qui s’en dégage. Aimer s’apprend dans la guérison, aussi, de nos blessures mutuelles.

Une amie m’écrivait que son couple ne s’est jamais aussi bien porté que depuis la pandémie ; ils ont du temps, vivent dans un environnement paisible, ils ont la paix, les enfants sont grands. Pour la première fois de leur vie très, très active, ils se retrouvent. Et la maturité aidant, ils savent comment prendre soin l’un de l’autre. Quel épilogue béni.

Deux époux doivent se garder de se quereller quand ils ne s’aiment plus assez pour les réconciliations

 

« L’amour ne connaît qu’un seul but lorsqu’il te rencontre : lui-même. Venir au monde encore une fois à travers toi. […] Tu es convié à aimer et à servir pour que sur terre soient l’amour et le service », écrivait Christiane Singer dans Éloge du mariage, de l’engagement et autres folies, une source férocement inspirante à lire et relire : « Toute institution finit tôt ou tard par noyer l’enfant de l’amour dans l’eau croupie du bain. La seule manière que nous ayons d’honorer la vie est d’oser l’aborder de neuf chaque jour sans la grever de nos attentes — oser l’unicité du jour neuf. »

« Car la débâcle ne vient-elle pas de notre attachement à telle ou telle forme qu’a prise l’amour à un moment de notre vie — le plus souvent à son tout début — et de notre désir de la conserver telle à tout prix ? Or l’esprit est pure fluidité. »

C’est comme un jour, ça s’en va, ça s’en va l’amour, chantait Aznavour, mais Brel répondait qu’on a vu souvent rejaillir le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux.

On est paumé, paumé

Et si on pouvait s’aimer, s’aimer

 

Singer insiste pour qu’on n’abatte pas tous les arbres qui ont l’air sinistres et dépouillés en décembre : « … il en est ainsi des relations que nous scions à la base parce que nous les croyons mortes. »

Puissions-nous passer l’hiver en gardant en tête que l’amour est davantage qu’un passe-temps, une œuvre de sève et d’espérance, de ruines et de miroirs. De dépassements inachevés.

cherejoblo@ledevoir.com

Instagram : josee.blanchette

Un plus un égale trois

J’ai découvert la thérapeute de couple Florentine d’Aulnois-Wang au hasard d’un podcast, L’espace du couple sur Spotify. Cette quinzaine de courts épisodes porte sur l’intelligence amoureuse, dont un sur le confinement. Il nous incite à prendre soin de la relation et à faire connaissance différemment, mais à comprendre pourquoi nous avons choisi cet « Autre » plutôt qu’un(e) autre. L’espace du couple, c’est 1 + 1 = 3. Le ton est un peu emphatique (et le « tu » m’énerve), mais le propos demeure intéressant. Oui, aimer s’apprend souvent dans l’essai/erreur, et dans une volonté de se dévoiler. Florentine répond aux questions des auditeurs. J’ai bien aimé l’épisode sur la gentillesse, la base de tout, même quand on est soucieux, déconnecté, stressé.spoti.f. On peut aussi l’écouter dans cette conférence TED qui résume son propos plus succinctement.

Joblog

Souligné maints passages du livre de Marc Pistorio, Connecté à soi, connecté aux autres. J’avais adoré Dis-moi qui tu aimes, je te dirai qui tu es, sur nos répétitions amoureuses et nos modèles internes. Celui-ci réunit des textes sur divers sujets, dont le couple, les ados, la pandémie, les passages à l’acte (violence conjugale, suicide).

Tel un apôtre de l’apaisement, il encourage chacun à « diffuser assidûment des messages d’affection par des moyens virtuels et des médias sociaux ».

Un livre de sagesse qui peut aider à comprendre la détresse psychologique causée par le manque de lien et outiller devant des vents contraires, surtout avec ce non-Noël qui s’annonce.

 

Adoré l’album pour adultes Amoureux avec les textes d’Hélène Delforge couplés aux splendides illustrations de Quentin Gréban. Toute cette page aurait pu être consacrée à ce livre qu’on n’hésite pas à offrir ou qu’on conserve précieusement. C’est un petit bijou sur un thème présent et repassé. Chaque amour est unique, aucun n’est identique et les conjugaisons éblouissent.

« L’amour se vit dans le vrai. Il naît d’une évidence. Il grandit de confidences. Je suis tombée amoureuse de toi sans te connaître. Je t’aime parce que je te connais. Sois toi, je te suis. Suis-moi, je suis moi. »

Aimé les deux albums de dessins des jumelles Agathe et Lorraine Sorlet, Les amours et Une histoire d’amour. Les jeunes illustratrices de 27 ans qu’on peut suivre sur Instagram réussissent à nous raconter des histoires sans mots. C’est charmant, parfois réconfortant ou brûlant. Il y en a même pour les amours-amitiés et l’amour de soi. Bref, des livres « destinés aux amoureux et aux amoureux de l’amour. »



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