C-10, un projet de loi perfectible
Le projet de loi C-10 vise à faire en sorte que l’ensemble des entreprises qui se livrent à des activités de diffusion et de distribution d’émissions au moyen d’Internet ou autrement fonctionnent en harmonie avec les exigences de la politique canadienne de radiodiffusion. En proposant cette mise à jour trop longtemps reportée, le gouvernement entreprend un rattrapage nécessaire dans la mise en place du cadre législatif des activités de diffusion de créations audiovisuelles de plus en plus tributaires des environnements en ligne.
Pour apprécier la teneur et le bien-fondé des propositions de mise à niveau de la Loi sur la radiodiffusion, il faut tenir compte de ses caractéristiques. Cette loi est conçue selon une architecture particulière. Lorsqu’on en lit le texte, on n’y trouve pas — car il n’y a jamais eu — de dispositions qui énoncent le détail des obligations des entreprises. La loi n’édicte pas des quotas ou des sommes d’argent à investir dans les programmes ; elle énonce plutôt des objectifs, une politique globale qui doit se réaliser grâce à la contribution de l’ensemble des entreprises diffusant des émissions au Canada.
En plus d’énoncer la politique à mettre en œuvre, la Loi sur la radiodiffusion met en place les mécanismes pour assurer que la politique de radiodiffusion se traduise en actions concrètes. Il est donc normal de ne pas y trouver de dispositions précises, par exemple sur les quotas de contenus francophones ou les niveaux de dépenses que les entreprises doivent consacrer à la production canadienne. C’est plutôt dans les règles mises en place par le CRTC que se trouvent de telles exigences, le plus souvent taillées sur mesure afin de répondre aux contextes variés et changeants.
Parmi les objectifs assignés au système de radiodiffusion dans son ensemble par la loi actuelle, il y a celui de « favoriser l’épanouissement de l’expression canadienne en proposant une très large programmation qui traduise des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadiennes, qui mette en valeur des divertissements faisant appel à des artistes canadiens et qui fournisse de l’information et de l’analyse concernant le Canada et l’étranger considérés d’un point de vue canadien ». La loi rappelle que « les radiodiffusions de langues française et anglaise, malgré certains points communs, diffèrent quant à leurs conditions d’exploitation et, éventuellement, quant à leurs besoins. » Le projet de loi C-10 propose d’ajouter à la loi la nécessité que le système de radiodiffusion reflète les réalités autochtones et celles des personnes racisées.
Le projet de loi C-10 propose — il était temps — d’inscrire clairement que toutes les entreprises qui transmettent des émissions, même sur Internet, seront a priori tenues de respecter la loi et les exigences qui seront mises en place par le CRTC. Hélas, le projet de loi C-10 exclurait toutes les entreprises qui diffusent par le moyen des plateformes de réseaux sociaux du champ d’application de la loi. C’est une exclusion à la fois dangereuse et inutile. La loi confère déjà au CRTC un pouvoir d’exempter les types d’entreprises qui ne soulèvent pas d’enjeux particuliers.
Les objectifs du système de radiodiffusion déterminent les finalités auxquelles doivent répondre les conditions imposées aux entreprises de diffusion d’émissions. Cette loi procède du constat que la possibilité pour les Canadiens de faire de véritables choix est tributaire d’un ensemble de conditions destinées à garantir la disponibilité des émissions originales résultant de l’activité créatrice d’ici. Les émissions originales et les œuvres musicales qui font tant notre fierté n’arrivent pas sur nos écrans et dans nos récepteurs par hasard. C’est le résultat d’un environnement réglementaire qui fait en sorte que ceux qui tirent profit de la diffusion de contenus contribuent à la production d’œuvres originales émanant du travail de nos créateurs et interprètes. C’est grâce à ces mesures que nous avons de réelles possibilités de choisir aussi bien les créations d’ici que celles venant d’ailleurs.
Au lieu d’énoncer directement des obligations aux diverses entreprises, la loi institue un processus de régulation. Elle dote le CRTC de plusieurs pouvoirs afin de prescrire les conditions que devra respecter chaque entreprise. Cela se comprend. Il s’agit de relever le redoutable défi de réguler un champ d’activité qui évolue très vite. Un domaine caractérisé par la volatilité des conditions techniques, des modes, des habitudes d’écoute et des styles créatifs. Il faut des mécanismes de régulation souples, capables d’anticiper les contextes changeants de la création et de la diffusion des multiples activités créatrices.
Les objectifs généraux énoncés dans la loi sont traduits par le CRTC en exigences spécifiques imposées à chaque entreprise au moyen des règlements, conditions de permis et ordonnances. Pour qu’un tel modèle fonctionne, il faut que le CRTC cultive une vision prospective, se dote de capacités autonomes de comprendre le contexte et de choisir proactivement les mesures afin d’anticiper et non de subir les évolutions. Dans le passé, le CRTC a trop souvent utilisé les marges d’appréciation que lui confère la loi pour démanteler les conditions qui assurent la disponibilité d’émissions canadiennes. Par exemple, au lieu de prendre les moyens pour imposer aux entreprises en ligne des exigences compatibles avec les objectifs de la loi, il a persisté à les exempter de toute obligation destinée à assurer des réinvestissements dans la production canadienne.
À cet égard, le projet de loi C-10 doit être amélioré. Il faut y inclure des garanties que le CRTC ne pourra utiliser la marge d’appréciation que lui réserve la loi pour en contredire le sens et les finalités. Par exemple, le pouvoir qui lui est accordé d’exempter certaines entreprises des exigences découlant de la loi doit être encadré et conditionnel à une démonstration documentée que l’activité des entreprises que le Conseil propose d’exempter de l’obligation de respecter les règles n’a effectivement pas d’incidence sur la réalisation des objectifs de la politique de radiodiffusion.