La gloire de Greta
Un des aspects les plus fascinants du documentaire I Am Greta de Nathan Grossman, c’est l’impact de la célébrité de la jeune environnementaliste sur ceux qui se chauffent à ses rayons. Maintenant disponible en vidéo sur demande, ce film, par-delà son apologie de la militante suédoise, montre en creux à quel point les hauts dirigeants du monde et des grandes arènes internationales se drapent dans sa gloire pour y être associés.
Cette petite Suédoise est une telle rock star de l’écologie que chacun a intérêt à prendre la pose à ses côtés afin de se faire bien voir et de jurer de ses bonnes intentions, main sur le cœur. Emmanuel Macron, qui la reçoit à l’Élysée, paraît plus excité qu’elle par leur rencontre. Reste que le président français ne sait trop sur quel ton s’adresser à l’étrange adolescente campée devant lui. Tombée de la planète ? Oui ? Non ? À revoir ici le passage de l’icône à l’ONU ou devant d’autres aréopages de politiciens et de scientifiques. Place à la reine soleil, à ses courtisans et aux ennemis tapis dans l’ombre.
Cette célébrité, elle en dénonce les effets pervers en vain. Courtisée parce qu’influente chef de file d’un mouvement planétaire. Aimée pour autant par les grands de ce monde ? On en doute. Greta dérange plus qu’autre chose, mais à moins d’être un Trump ou un Poutine, mieux vaut finalement l’avoir de son côté…
Ses tournées et sa vie familiale sont captées dans le film avant la pandémie, qui a changé la donne et mis sous le boisseau bien des manifestations bruyantes. Patience ! Greta Thunberg a toute la vie devant elle…
Un conte initiatique
Le syndrome d’Asperger lui procure une acuité, un pouvoir de concentration, rayon vert dont ses interlocuteurs sont dépourvus. Tous mêlent à des désirs plus ou moins sincères de lutter contre ce foutu climat grimaçant d’autres enjeux teintés d’indifférence, de calculs économiques, de peur de s’aliéner un électorat à coups de mesures impopulaires. Pas elle, qui ne vise que sa cible, sans égard pour le reste. David tenant sa fronde pour affronter Goliath.
Seule la proximité du pape provoque chez elle un sursaut de fierté enfantine. Sinon, « the adult in the room », comme disent les Américains, c’est ce petit bout de femme là, accrochée à ses convictions inébranlables, d’autant plus courageuse (et politiquement dangereuse) que ses visées sont moins diffuses. Elle voit les puissants comme des hypocrites et ne se gêne pas pour le dire devant la caméra. N’empêche que Greta Thunberg a besoin d’eux aussi pour faire avancer sa cause.
« How dare you ! » Sa voix résonne et détonne entre les hauts murs des Nations unies. Plusieurs de ceux qui lui tendent le micro aimeraient sans doute avoir affaire à une invitée plus conciliante. Le doigt dressé de cette minuscule pasionaria les réduit à leur impuissance.
Ce documentaire, qui retrace deux années de lutte, en bateau, en train, à la tête de manifestations monstres, devant les politiciens ou chez elle parmi ses proches, est aussi complaisant qu’instructif. Chose certaine, la bonne foi de la Jeanne d’Arc de l’environnement ne saurait être remise en cause. Instrumentalisée par ses parents comme le proclament ses détracteurs ? Ou bien l’inverse ?
Après tout, ses géniteurs ont traversé de concert la longue période de dépression, l’affaissement, l’anorexie de cette enfant tétanisée par les menaces pesant sur le globe.Puis, ils l’ont accompagnée dans sa lutte, qui la ressuscitait. Fallait-il la garder à l’école ? La suivre dans sa glorieuse croisade ? Ils ont choisi la seconde voie.
On regarde ce père à ses côtés se draper comme les autres dans la gloire de l’adolescente. Son nouvel emploi d’agent, de conseiller, de compagnon d’une étoile lui procure visiblement d’intenses satisfactions. Seule la jeune fille paraît moins préoccupée par son aura que par le but de sa course.
Après les événements captés dans le film, durant l’épisode pandémique, Greta Thunberg est retournée à l’école. Et ceux qui l’accusaient de se couper des apprentissages de son âge doivent ravaler leurs piques.
Mais qu’a-t-on appris ici de plus sur la légendaire militante ? Son humour ? Ses peurs et ses doutes ? Son rapport étroit avec ses chiens qui la saisissent mieux que les humains déconcertés ?
Ce portrait d’une petite amazone aura beaucoup montré en filigrane les défaillances des adultes. Comme dans un conte de fées où l’héroïne à la pureté de l’âge tendre entreprend un voyage initiatique chez des tribus pas toujours bien intentionnées. Le sceau du merveilleux marque l’improbable destin de Greta. On croit la suivre en territoire de légende. « Mais devez-vous vraiment tenter de percer mon énigme plutôt que d’enfourcher avec moi d’essentiels combats ? » semblent demander à raison ses insondables yeux obliques.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.