

Dix questions pour comprendre l’élection du 3 novembre 2020
De la nature indirecte du vote aux différences de dépouillement entre les États, Le Devoir démêle le tout.
« Le vote est l’outil non violent le plus puissant… dans une société démocratique. » La parole de John Lewis, qui a failli laisser sa vie aux portes de la démocratie, sur un pont à Selma en Alabama en 1965, résonne. Et ils sont nombreux à l’avoir pris au mot — 86 millions déjà. Un record. Et dans certains États, comme au Texas, ils sont autant à avoir voté par anticipation que ceux qui ont voté en 2016.
Mais l’année est atypique : à ce stade, il n’est pas facile d’établir un scénario de la soirée électorale. Pas plus s’agissant du résultat que de la manière dont cette semaine électorale va se dérouler. Car il y a ce que l’on sait. Ce que l’on ignore. Et ce que l’on redoute.
Tous les quatre ans, le premier mardi suivant le premier lundi de novembre, les Américains se rendent aux urnes pour voter… pour une liste de grands électeurs. Dans 48 des 50 États, la majorité des suffrages exprimés donne une liste gagnante : ainsi, si le nom de Biden obtient la majorité des suffrages en Californie le 3 novembre, il gagne la totalité des 55 grands électeurs de l’État ; de même que si la majorité des voix en Floride va à Trump, il hérite de la totalité des 29 grands électeurs de cet État. Ces blocs de grands électeurs, répartis par État proportionnellement à leur population, font basculer la victoire dans un camp ou l’autre. Mais constitutionnellement, c’est le 14 décembre que les 538 grands électeurs élus le 3 novembre désignent officiellement le président et le vice-président.
Ce mode de scrutin indirect crée un effet de loupe : avec une petite majorité de suffrages populaires en novembre, le président peut hériter d’une majorité de grands électeurs, d’une légitimité accrue (et nécessaire) pour le chef d’État d’un pays étendu et populeux.
Les résultats qui seront diffusés éventuellement mardi soir prochain ne sont que des projections. D’une part, parce que la plupart des États ont encore quelques jours, voire quelques semaines, pour recevoir, valider et compter les votes : il n’y aura pas de décompte final le soir du 3 novembre.
D’autre part, 5 fois depuis le début des États-Unis (dont deux depuis 2000), la distorsion induite par le collège électoral a mené à la Maison-Blanche un président minoritaire en suffrages populaires. Que l’histoire se renouvelle dépend d’une série de facteurs qui peuvent se combiner pour générer une tempête parfaite.
Premier problème : pourra-t-on prendre en compte la totalité des votes exprimés ? 19 États acceptent les bulletins après le 3 novembre, 35 ne comptent que ceux qui sont arrivés au plus tard le jour de l’élection. Or, certains bulletins postés « en théorie » à temps, pourraient en raison de la lenteur du service postal arriver hors délai… et non par négligence des électeurs.
Deuxième problème : combien de bulletins seront invalidés et sur quels fondements ? Là aussi, des questions portant sur la validité de bulletins par correspondance sont déjà pendantes devant les cours. Quand les bulletins provisionnels (qui sont des bulletins provisoires disponibles le jour de l’élection en cas de problème lié à l’identité de l’électeur) seront-ils inclus dans le décompte — et le seront-ils ? Que se passera-t-il si l’écart entre les deux candidats est si mince que ces bulletins font justement la différence ?
Finalement, en raison des difficultés à compter tous les bulletins à temps, en raison d’écarts de voix tellement serrés qu’ils généreront des recomptages automatiques, en raison de files d’électeurs qui s’étireraient tellement qu’il faudrait retarder la fermeture des bureaux de vote, en raison des poursuites judiciaires menées des équipes de juristes qui sont déjà à pied d’œuvre, pourra-t-il y avoir un résultat au cours de la semaine ?
L’incertitude est le talon d’Achille de cette élection. D’autant qu’il y a eu, en 2020, des épisodes d’intimidation aux abords des bureaux de vote, tant au cours des primaires que pendant le vote par anticipation. Y en aura-t-il pendant les décomptes et les recomptages ? Pensons au chahut lors du Brooks Brothers Riot en 2000 qui avait effectivement entravé le recomptage en Floride. Dans ce contexte, ce que redoutent les gouverneurs qui, dans certains États, ont déjà mobilisé la garde nationale, sont les dérapages dans une société polarisée, alors que le nombre d’armes vendues au cours de l’année est deux fois plus élevé que l’an passé, alors que méfiance et peur règnent sur les médias sociaux. Ils craignent les dérapages de groupes comme les Wolverine Watchmen du Michigan, ou d’individus, abreuvés par une désinformation coordonnée, QAnon en tête.
Et si dans les jours qui suivent, aucun des deux candidats ne concède la victoire ? Si des listes concurrentes de grands électeurs sont acheminées au Congrès ? Si la Cour suprême doit trancher, et que la nouvelle juge ne se récuse pas (ce qu’elle n’a aucune raison de faire)… L’abîme de cette période d’indécision pourrait finir par dévorer la démocratie américaine…
Mais il y a aussi ce qu’il faut célébrer…. Et plus que tout, la détermination de celles et ceux qui se sont tenus debout pendant des heures, qu’importe leur état, la chaleur, la pluie… pour voter. Cette volonté farouche de participer à l’exercice démocratique est sans doute l’élément le plus important des dernières semaines. Ce sont ces héros silencieux de la démocratie qui dessinent aujourd’hui un arc-en-ciel…
De la nature indirecte du vote aux différences de dépouillement entre les États, Le Devoir démêle le tout.
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