Le radotage libéral

La cheffe du PLQ, Dominique Anglade, a expliqué de façon pour le moins originale son choix du Non lors du référendum de 1995. « J’avais 21 ans à l’époque, jeune militante libérale, je m’étais engagée dans la défense de la place du Québec au sein du Canada », écrit-elle dans une lettre ouverte publiée cette semaine.

Quelqu’un pense-t-il sérieusement que le camp du Non avait pour objectif d’améliorer le statut du Québec dans la fédération ? Durant toute la campagne, il s’est limité à s’opposer à la séparation. A-t-on entendu une seule proposition de renouvellement du fédéralisme, qui avait été rejeté brutalement avec l’enterrement de l’accord du lac Meech ? Les arguments du Non consistaient uniquement à évoquer les conséquences économiques désastreuses d’un Oui.

« Un quart de siècle plus tard, le temps a fait son œuvre. Si la souveraineté n’a plus la faveur populaire, la place du Québec dans le Canada doit encore faire l’objet de discussions et de revendications », poursuit Mme Anglade. Dire qu’« un certain malaise subsiste » relève de l’euphémisme. Si le temps a fait son œuvre, le résultat ne saute pas aux yeux. La seule idée d’une réouverture du dossier constitutionnel donne des boutons au Canada anglais.

On comprend que le PLQ cherche désespérément à renouer avec la majorité francophone, qui demeure insatisfaite du statu quo, mais depuis 25 ans, ses chefs ont répété ad nauseam que « le fruit n’est pas mûr ». Si Mme Anglade a discerné dans le reste du pays une quelconque volonté de se rasseoir à la table, outre celle du premier ministre albertain, Jason Kenney, qui voudrait revoir la péréquation au détriment du Québec, il faut s’incliner devant une telle clairvoyance.

  

Un séjour dans l’opposition provoque toujours un sursaut de nationalisme au PLQ. Même Philippe Couillard, qui se réclamait lui aussi de Robert Bourassa, y a succombé quand il est devenu chef. Il se faisait fort de faire accepter les conditions de Meech au Canada anglais. À l’entendre, cela n’allait pas traîner. Il voulait même faire coïncider la grande réconciliation avec le 150e anniversaire de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, en 2017. Il y a renoncé dès qu’il est devenu premier ministre.

Certains ont semblé voir une sorte d’illumination dans la lettre de Mme Anglade. On peut assurément se réjouir du fait qu’elle « revendique une place distincte pour le Québec au sein de la fédération », mais M. Couillard ne disait pas autrement. « Pour le Québec, l’affirmation de son caractère distinct et l’acceptation de ce fait par l’ensemble canadien sont intimement liées à l’idéal même du fédéralisme », peut-on lire dans la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes que son gouvernement a publiée en juin 2017 sous le titre « Québécois, notre façon d’être Canadiens ».

Commandé par Jean Charest seize ans plus tôt, le rapport du Comité spécial du PLQ sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec, présidé par Benoit Pelletier, soutenait lui aussi que « le fédéralisme canadien est suffisamment flexible pour s’accommoder de la reconnaissance de la spécificité du Québec, fondée sur ses caractéristiques uniques ». À la longue, cela finit par ressembler à un radotage qui ressemble bien plus à une figure imposée par des intérêts électoraux qu’à une volonté de faire bouger les choses.

  

Contrairement à ses deux prédécesseurs, Mme Anglade n’aura peut-être jamais l’occasion de démontrer dans quelle mesure elle est déterminée à passer de la parole aux actes. La politique réserve parfois des surprises, mais elle risque fort d’être une cheffe transitoire, à l’instar de Claude Ryan, dont le livre beige est rapidement devenu une pièce d’archives.

Si elle voulait réellement faire œuvre utile, elle pourrait proposer au gouvernement Legault de s’entendre sur des demandes communes à soumettre au reste du Canada. Sa lettre contient plusieurs propositions qui sont tout à fait compatibles avec les objectifs du « Nouveau projet pour les nationalistes du Québec » que la CAQ a dévoilé à l’automne 2016, qu’il s’agisse de la souveraineté culturelle, de l’encadrement du pouvoir fédéral de dépenser, de l’application de la loi 101 aux entreprises qui relèvent de l’autorité fédérale ou encore de l’octroi d’une plus grande place au Québec sur la scène internationale.

Bien entendu, cela supposerait qu’elle soit prête à vivre avec les conséquences d’une fin de non-recevoir, tout comme M. Legault. Depuis que Robert Bourassa s’est cassé les dents, les libéraux n’ont jamais voulu prendre ce risque à nouveau et rien n’indique que l’actuel premier ministre y soit davantage disposé. Si les Québécois ne veulent pas de l’indépendance, comme il l’a répété cette semaine, il ne lui resterait plus qu’à s’écraser. Au point où il en est, même le PQ pourrait s’associer à une telle démarche, comme Jacques Parizeau avait fini par appuyer l’accord du lac Meech en tablant sur son échec. D’une certaine façon, c’est ce que proposait Frédéric Bastien durant la course à la chefferie.

Évidemment, rien de tout cela n’arrivera, mais aussi bien rêver que radoter.

À voir en vidéo