La nouvelle maternelle
Si vous suivez un peu l’actualité en éducation, vous ne pouvez avoir raté ces récents échanges, parfois virulents, entre défenseurs et critiques du nouveau programme du préscolaire. Celui-ci, pour rappel, est mis en avant pour les maternelles 4 et 5 ans.
Ces vifs débats sont intéressants entre autres parce qu’ils sont exemplaires de tensions, de polarisations et plus généralement de certains graves problèmes qui traversent presque constamment le monde de l’éducation. Et nous empêchent d’avancer.
Laissez-moi essayer de vous aider à apercevoir tout cela, le plus objectivement possible.
Un programme et ses enjeux
Allons à l’essentiel. Des chercheurs ont reçu le mandat de concevoir ce programme. Il se trouve qu’ils sont des adeptes des données probantes. Ils y ont donc inscrit non pas l’apprentissage de la lecture pour les tout-petits, mais bien la préparation à l’apprentissage de la lecture, qui prendra une modeste place dans les heures à l’école.
Ici s’allume un premier débat, scientifique.
Il est scientifique parce qu’on s’opposera aux données probantes justifiant le choix du programme en en invoquant d’autres, prétendues elles aussi décisives. Je ne peux entrer dans le détail, mais je suis d’avis ici que certaines de ces données invoquées contre le programme ne seront pas pertinentes (par exemple, elles parleront de l’apprentissage de la lecture et non pas de sa simple préparation) ou ne seront pas crédibles, même si elles ont été publiées, même si aussi, hélas, ce fut dans une vraie revue.
Car le fait est, têtu, et raisonnablement démontré, que préparer à la maternelle à apprendre à lire en première année est bénéfique, surtout pour les enfants de milieux moins culturellement ou économiquement favorisés. De même, on peut raisonnablement affirmer qu’apprendre (idéalement vite et bien) à lire en première année est excellent pour la bonne suite du parcours scolaire.
Ce débat scientifique, que j’esquisse trop vite, est complexe pour les non-initiés ; et il l’est même pour des initiés. Mais ce n’est pas tout.
Car il se double d’un autre débat, cette fois à très forte teneur idéologique.
Ici, c’est encore plus complexe. Depuis Jean-Jacques Rousseau au moins, et à travers tant de penseurs de l’éducation à la petite enfance comme Froëbel, Pestalozzi, Montessori et jusqu’à Piaget et au-delà, une certaine conception de l’enfance, légitime, et pour laquelle on peut avancer de bons arguments, demande qu’on laisse la nature suivre son cours, qu’on ne précipite pas les choses, qu’on laisse le temps faire son œuvre bénéfique. Rousseau écrira : « Oserais-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ? Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre. »
Apprendre en maternelle les simples bases de la lecture, apprendre à reconnaître les lettres, développer une conscience phonologique et une conscience de l’écrit peut être et est en effet parfois jugé incompatible avec cet idéal.
Et ce n’est pas tout. Car à ces débats scientifiques et idéologiques se superpose et se mêle un troisième, politico-institutionnel, si je peux le nommer ainsi.
Cette fois, concrètement, il est question de savoir à qui il revient de décider, à qui sera donnée la tâche d’analyser, de proposer, de rédiger textes et projets. Des jeux de pouvoir se déroulent mettant en scène fonctionnaires du ministère, chercheurs, universitaires, avec en toile de fond du capital culturel, des fonds de recherche, des dégrèvements et j’en passe. Je vous laisse deviner ce qui arrive, et cela arrive trop souvent, quand la conclusion adoptée ne convient pas à un groupe, surtout s’il est puissant.
Pour le moment, le ministre, pris au milieu de tout cela, fait face, pas mal seul, et semble opter pour la mise en œuvre de ce programme. On verra bien ce qu’il adviendra au fil du long et possiblement douloureux déroulement des débats scientifiques, idéologiques et politiques. Il reste que l’enjeu est énorme, d’abord et avant tout pour les enfants concernés.
Je pense, en toute modestie, que des avenues plus sages pourraient et devraient être empruntées.
Des solutions
Dans un domaine comme l’éducation, il faut, et cela manque, hélas, assurer la crédibilité des données de recherche pertinentes fondant une décision. Une autorité scientifique impartiale, non corrompue par des considérations idéologiques ou institutionnelles etpolitiques, pourrait jouer ce rôle. Je reconnais qu’il n’est pas facile de la concevoir et de l’implanter. Mais une fois cela fait, un certain nombre de polémiques s’estomperaient.
Mais dans un domaine comme l’éducation, les valeurs, les finalités sont omniprésentes dans nos débats et les données de recherche crédibles n’aident, sinon en rien, du moins bien peu, à résoudre ces débats idéologiques. Je soumets, une fois de plus, qu’à moins de les laisser à la libre concurrence intéressée des parties prenantes, il nous faut aujourd’hui cette réflexion collective sérieuse que j’ai appelée une commission Parent 2.0.
En attendant, il y a pourtant des choses qui peuvent être faites. Elles me viennent à l’esprit en me rappelant le désolant épisode de la mise en place de la réforme.
Pourquoi, à propos de ce nouveau programme, ne pas implanter à l’essai, dans quelques lieux, avec suivi, ce qu’on préconise ? Pourquoi ne pas chercher à en démontrer la pertinence ? Pourquoi, si et quand sa pratique sera généralisée, ne pas faire un suivi, corriger, ajuster ?
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Je remercie Christian Boyer avec qui j’ai échangé sur ces questions.
Il va de soi que j’assume seul mes propos.