La débandade des mecs

Comme une fille qui surprend une conversation de vestiaire ou qui tombe sur la séance de masturbation d’un chroniqueur du New Yorker sur son Zoom matinal (spell FIRED !), je suis tombée à pieds joints dans Les mecs sur Tou.tv Extra. J’ai dévoré la télésérie en rafale, plaisir coupable et apprécié avec un sourire en coin.
Pas que j’aie appris grand-chose sur notre époque et le quinqua face à son miroir grossissant. Cet « épisode » patriarcal dure depuis au moins Marc-Aurèle, empereur philosophe du IIe siècle, bien connu pour ses « pensées » et que j’affectionne pour la sagesse de ses observations : « Dès l’aurore, dis-toi d’avance : je rencontrerai un indiscret, un insolent, un fourbe, un envieux, un égoïste. » Ça te part une journée, ça, mon homme.
Et il n’avait pas encore rencontré Les mecs. Si tout le monde était aussi équanime que Marc-Aurèle, il ne resterait que le clin d’œil arc-en-ciel du pont Jacques-Cartier à admirer le soir venu. Heureusement, l’homme n’est pas sage et s’entête à le prouver. Si vous me demandiez de quoi parle la série Les mecs, j’ai retenu les mots « pénis » et toutes ses déclinaisons possibles, comme « dysfonction érectile », « prostate », « vessie timide » ou « parurésie », « masturbation », concours de quéquettes, érection, éjaculation — un transfert de 15 875 gigs, ai-je appris —, YouPorn, Viagra, testostérone et débandade tout court.
Les femmes aiment ce qu’elles entendent tandis que les hommes aiment ce qu’ils voient. Voilà pourquoi les femmes se maquillent et les hommes mentent.
Le quinquagénaire- sexa- baby-boomer souffre de ne plus être l’étalon du peloton et envoie des textos sur la grosseur de la bite de son meilleur ami. On se croirait dans une cour d’école d’élèves du secondaire qui ont emprunté la jupe de leur sœur pour protester contre la discrimination vestimentaire. Yo bro ! Les cheveux gris ne font rien à l’affaire, l’homme blanc cisgenre hétéro sur le déclin est détrôné et n’est plus la seule référence en matière de désir, de plaisir et de sexualité. Tout se peut, désormais, et il en est légèrement déstabilisé, pour ne pas dire pathétique, du moins en mode petit écran.
Comme aimait le répéter Jacques Chirac : « Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. » Carla Bruni, l’ex-première dame, l’a même repris dans L’Obs le mois dernier ; comme quoi la réplique est célèbre et non genrée. Ma grand-mère aurait dit « ça ne me fait pas un pli sur la différence » ; on nous a fait passer des vessies pour des lanternes si longtemps.
Je bande, donc je « vit »
Les mecs expose le côté fragile de l’homme (gai ou hétéro, d’ailleurs) face à sa mortalité et à son obsolescence, mais évite de creuser le sujet. On laisse la profondeur aux croque-morts. On effleure la surface sans aller dans le corps caverneux, en mode comédie, usant de métaphores comme « cellulite aux poumons » pour parler des « totons de gras ». Bienvenue dans le ridicule qui ne tue pas. Pas encore…
Lors d’une entrevue sur l’andropause pour les besoins d’un livre, une urologue m’a affirmé que le pénis au garde-à-vous est la preuve « vivante » du tonus de ses clients, leur glaive élevé devant la faux du squelette.
Chez les hyènes, même les femelles ont un pénis
Tant que le vit s’érige, il subsiste un espoir et leur pouvoir est intact, même si Pfizer en est le commanditaire. L’urologue m’avait glissé qu’au final, on n’éduque pas les gens à mourir. Tout serait beaucoup plus simple s’ils acceptaient leur destin, assez prévisible. Et s’ils cessaient d’obséder sur la grosseur de leur engin, aussi (ça, c’est de moi). Et pas que de moi, puisque 15 écrivaines se sont aimablement penchées sur le pénis dans Projet P, paru cette semaine, un ouvrage collectif qui présente l’attribut, du plus flasque au plus rigide, du plus riquiqui au plus turgescent.
Elles sont gentilles, les filles, ne se moquent pas, et en plus, elles nous apprennent des tas de choses. Tiens, que le mot « fascination » vient de phallos, soit le sexe dressé chez les Grecs. Et que chez les Grecs anciens, on était fasciné par les petits zizis, un signe de noblesse. Dans Projet P, on plonge dans l’univers de la vasectomie et celui des dick pics en guirlandes de Noël, ou dans les coussins en forme de pénis. Il y est même question d’impuissance ou d’érection ressuscitée. De « plutôt mourir » que de ne plus bander.
Et on mentionne la culpabilité des filles. Si le gars ne bande pas, c’est de notre faute, s’il nous laisse aussi, s’il nous viole, eh bien, ça dépend de comment nous sommes habillées. Il y a des portraits très drôles dans Projet P et de très émouvants aussi. Comme quoi le pénis n’est pas si loin du cœur quand on lui force un peu la main.
Oui, je le jure, votre honneur !
Ça me fait penser à cette citation de San Antonio qui est passée à l’écran de Les mecs : « Le sexe masculin est ce qu’il y a de plus léger au monde, une simple pensée le soulève. » Déjà remisée aux oubliettes, l’insoutenable légèreté du témoignage qu’a livré Gilbert Rozon la semaine dernière a donné lieu à quantité de blagues croustillantes sur les réseaux sociaux. Kathie, sur Twitter, y est allée d’un : « La madame s’est enfargée dans le pénis de Gilbert. »
J’ai même retrouvé l’histoire, en 2015, d’un millionnaire saoudien qui est tombé sur sa victime de 18 ans, la violant par accident. Authentique. La juge pourra s’appuyer sur la jurisprudence pour rendre son jugement tant attendu.
Il faut tout de même avoir un cerveau passablement affligé par la saison du rut pour s’imaginer qu’une femme préfère enfourcher un homme à qui elle s’est refusée la veille plutôt que de se servir d’un concombre anglais (même libanais), oublié au frigo.
La beauté des fantasmes d’hétéros, c’est qu’ils ne sont pas toujours interchangeables, surtout pas celui de la Belle au bois dormant. Et comme disait ce cher Marc-Aurèle : « La meilleure façon de se défendre est de ne pas imiter l’offenseur. »
cherejoblo@ledevoir.com
Distance sociale
J’ai visionné en une seule soirée les huit épisodes de la série Distance sociale apparue sur Netflix le 15 octobre dernier, en me demandant comment ils avaient pu produire une série aussi pertinente et rythmée, en distanciation sociale et en aussi peu de temps. Un des créateurs d’Orange Is the New Black figure parmi les coupables. Les huit thèmes traitent de nos difficultés relationnelles chamboulées à travers les écrans, mais également dans la vraie vie. Très diversifiés comme sujets, de l’alcoolique et ses réunions de AA à l’ado qui tombe amoureux par avatars interposés, en passant par la mère de famille malade de la COVID qui communique avec son petit garçon via Facetime dans la pièce d’à côté. Tout y est de cette fascinante époque dont on croyait avoir fait une surdose. Et pourtant, la catharsis fonctionne à merveille durant cette seconde vague. Une pièce d’anthropologie à voir.Joblog
Aimé la télésérie Les mecs sur Tou.tv, réalisée par Ricardo Trogi et scénarisée par Jacques Davidts. Aucun temps mort, beaucoup de scènes d’urinoir, de gym et de bars (ça sent le petit budget), mais on s’amuse devant ces mecs un peu perdus dans leur monde en évolution rapide et enlignés par le fils de Christian (Bégin, même prénom) et Nathalie, la proprio du bar qui porte le col roulé et le sourire narquois. Quand on sait que ce sont surtout les femmes qui apprécient les séries de ce genre, il y a de quoi rire. « Les filles aiment ça les p’tites bedaines, ça les rassure », affirme Christian. Je ne sais pas qui tente de se rassurer ici…
Savouré Projet P, une brochette de 15 textes réunis par Karine Glorieux (qui insiste pour assister à la vasectomie de son chum) sur les pénis en devenir (c’est un garçon !), les pénis fendus, circoncis, hors d’usage, ressuscités. Sous la plume délicate notamment de Marie-Julie Gagnon, Silvia Galipeau, Geneviève Lefebvre et Joëlle Morin. Un smorgasbord d’univers différents pour traiter d’un sujet délicat. Assez fort pour l’homme, mais conçu par la femme.
Retenu mon souffle à la lecture de J’ai peur des hommes de Vivek Shraya, une femme transgenre d’origine indienne qui apprivoise son désir pour les hommes malgré ses peurs et après s’être fait dire qu’iel n’était pas assez viril toute son enfance. « Ces expériences me procurent donc un angle unique en tant que femme transgenre et queer, pour explorer la notion de « l’homme bon » et imaginer de nouvelles formes de masculinité qui ne suscitent pas la peur. » Un livre à mettre entre les mains de tous les gars. « Afin de repenser la masculinité, il faut abandonner notre quête du bon gars — cette anomalie, cette exception. L’homme bon est une fiction. »