Il y a plus urgent

Les conservateurs sont sur le pied de guerre, déterminés à prouver que les libéraux de Justin Trudeau sont corrompus. Pour y parvenir, ils exigent la création d’un comité parlementaire dont l’unique mandat serait d’enquêter sur tous les aspects de la controverse causée par le choix de l’organisme WE/Unis pour gérer le défunt programme de subvention aux jeunes bénévoles.

Alors que le pays était pratiquement sur pause durant le long congé de l’Action de grâce afin de contenir la deuxième vague de la pandémie, des députés conservateurs convoquaient la presse, non pas pour parler de cette crise, mais de l’affaire WE/Unis et des relents de favoritisme et de conflits d’intérêts qui l’entourent.

Le NPD aussi aimerait qu’un comité soit consacré à l’affaire, bien qu’il se montre moins vindicatif. Tous les partis d’opposition sont par ailleurs frustrés que la prorogation ait interrompu des semaines d’examen au sein de deux comités et que les libéraux résistent à relancer ces enquêtes. Bref, la joute partisane bat son plein.

Ce dossier éthique mérite d’être fouillé, c’est certain. Mais en ces temps d’incertitude et de crise sanitaire, on s’attendrait à ce que l’opposition concentre toute son énergie sur ce qui préoccupe au plus haut point les citoyens, à savoir la qualité de la réponse sanitaire des autorités à la pandémie.

Le fédéral, tout comme les autres gouvernements, est sous la loupe. De nombreuses questions ont été posées au fil des travaux du comité spécial sur la pandémie ce printemps par certains comités parlementaires et lors de la reprise des travaux de la Chambre cet automne. Les élus doivent toutefois en faire davantage et avec beaucoup plus de diligence, car il y aura d’autres vagues. Il faut des réponses et des engagements du gouvernement.

Comme nous l’écrivions samedi, l’Agence de la santé publique fédérale a fait face à la crise sanitaire actuelle affaiblie par des décisions prises depuis plus d’une décennie. Le Globe and Mail, qui fouille la question depuis des mois, a révélé cet été que cela a même mené à la mise sur pause, moins d’un an avant l’éclosion de la COVID-19, du Réseau mondial d’information en santé publique (RMISP). Ce dernier a la mission unique de détecter les signaux de pandémie à travers le monde pour en alerter les Canadiens avant même, souvent, que les dirigeants des régions n’admettent l’existence d’une éclosion.

À la suite des révélations du Globe, le renommé RMISP a repris ses activités en août et deux enquêtes indépendantes ont été lancées pour comprendre ce qui s’est passé. Mais il n’y a pas que le silence du réseau pendant 400 jours qui a handicapé l’agence. Son budget a peu progressé en 20 ans, connaissant des sursauts momentanés, sans plus. Plus fondamentale a été la refonte de sa structure administrative en 2015, fruit d’amendements glissés dans un de ces projets de loi budgétaire fourre-tout dont le gouvernement Harper avait le secret. Portés au pouvoir en 2015, les libéraux ont maintenu la nouvelle structure.

Lors de l’étude du projet de loi, des experts de la Santé publique avaient pourtant averti les parlementaires des risques de cette transformation qui s’écartait du modèle mis en place à la suite de la commission d’enquête sur la réponse à l’épidémie de SRAS. Malgré cela, on est allé de l’avant avec la création d’un poste de président, responsable de la gestion de l’agence, et le maintien de celui d’administrateur en chef, responsable de la promotion et de la protection de la santé des Canadiens.

Le directeur général de l’Association canadienne de la santé publique de l’époque, Ian Culbert, avait dit au comité des Finances que l’administrateur en chef se retrouvait ainsi « sans le pouvoir de mobiliser des ressources » alors que « les priorités nationales en matière de santé publique doivent passer avant les priorités administratives ».

Spécialiste du droit de la santé, le professeur Steven Hoffman, de l’Université d’Ottawa, concluait son propre témoignage ainsi : « Mon seul espoir est que nous n’aurons pas besoin d’une nouvelle épidémie de SRAS ou d’Ebola au Canada pour comprendre les torts que causeraient les changements proposés. »

Cinq ans plus tard, on constate que des considérations administratives semblent avoir pris le dessus puisque la réserve stratégique d’urgence a manqué de matériel de protection. Que le RMISP a été réduit au silence à cause de réallocation de ressources. Que des cadres supérieurs ne maîtrisaient pas suffisamment l’information scientifique que leur communiquaient les experts.

Éclaircir les faits autour de cette situation est essentiel dans le contexte actuel. Or, en démocratie parlementaire, il revient aux élus d’exiger des comptes au gouvernement, aux hauts fonctionnaires et ainsi de suite.

Les gouvernements bougent quand ils sont mis sous les projecteurs. Eh bien, voilà un dossier sur lequel les braquer avec tout l’arsenal dont disposent les parlementaires. Les comités, entre autres, ont le pouvoir d’exiger des documents, de faire témoigner les responsables, d’entendre des experts. Qu’on s’y mette avec autant d’ardeur qu’on en met à tenter d’engranger des munitions partisanes. Ça servirait mieux les citoyens.

mcornellier@ledevoir.com

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