Pour que justice soit rendue

La petite Amira, cinq ans, est enfin sortie de la Syrie et de retour au Canada, résultat d’une longue bataille de sa famille élargie. Orpheline depuis mars 2019 à la suite d’un bombardement ayant causé la mort de ses parents canadiens partis rejoindre le groupe État islamique, elle croupissait dans un orphelinat après avoir erré seule dans les rues.

Le gouvernement canadien a d’abord hésité devant les demandes pressantes de son oncle pour qu’on sauve sa nièce. Ottawa invoquait la complexité et la dangerosité d’une telle opération ainsi que l’absence de représentation diplomatique en Syrie. Ces arguments ont cependant vite perdu de leur effet quand une vingtaine d’autres pays se sont mis à rapatrier leurs orphelins et parfois leurs mères. On parle entre autres de la Grande-Bretagne, du Danemark, de la Finlande, de la France, de l’Allemagne, de la Norvège et des États-Unis.

Ce dénouement heureux pour Amira ne peut cependant faire oublier qu’il y a encore des Canadiens dans les prisons de fortune kurdes et les camps réservés aux familles des combattants capturés. Selon Human Rights Watch (HRW), ils seraient au moins 46, soit 8 hommes, 13 femmes et, maintenant, 25 enfants, dont la plupart ont six ans ou moins.

Lors de l’annonce lundi du retour d’Amira, tant le premier ministre Justin Trudeau que le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, ont insisté sur le fait que le cas de cette enfant était exceptionnel et qu’il n’était pas question d’en faire autant pour les autres Canadiens. Ni l’un ni l’autre n’a offert une véritable explication pour justifier cette différence de traitement, bien qu’on soupçonne que les actions judiciaires entreprises par l’oncle d’Amira ont pesé dans la balance.

La résistance du Canada n’est toutefois pas unique. Rapatrier des personnes parties soutenir une organisation terroriste particulièrement cruelle est impopulaire, confiait Agnès S. Callamard, rapporteuse spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, à ma collègue Hélène Buzzetti lundi. Mais pour Mme Callamard, « il ne fait aucun doute que laisser ces enfants là-bas dans ces camps constitue une violation des obligations internationales de ces États ».

Dans le cas des enfants, on parle aisément d’un devoir humanitaire. Ce peut être le cas pour certains adultes, mais les obligations sont d’un autre ordre vis-à-vis de celles et ceux qui se sont rendus complices d’atrocités ou en ont carrément commises. Dans leur cas, on parle d’obligation de ne pas laisser de tels crimes impunis. Dans un rapport publié en juin, Human Rights Watch disait que le rapatriement des adultes, en particulier des combattants, serait le meilleur moyen d’exiger des comptes de ces derniers et de les juger, ce qui est toujours impossible en Syrie.

Le refus du gouvernement canadien est guidé par des considérations de politique intérieure, mais il se trouve ainsi à contredire certains principes fondamentaux de notre politique étrangère, dont celui de mettre fin à l’impunité en cas de crimes contre l’humanité.

Sans État reconnu, les Kurdes, alliés du Canada dans la lutte contre le groupe État islamique, se disent incapables de garder et de juger ces combattants et leurs familles. Ils demandent depuis deux ans aux différents pays d’origine de rapatrier leurs citoyens pour faire ce travail essentiel.

La question est complexe, comme le dit Ottawa, car on parle de déradicalisation, de rééducation et de réintégration des non-combattants, dont les enfants. Pour juger les combattants, il faut avoir en main les preuves nécessaires pour que le processus judiciaire aboutisse. Il faut donc les réunir et s’assurer qu’elles respectent nos normes juridiques.

Ce n’est toutefois pas impossible, du moins aux yeux des États-Unis. La semaine dernière, le département de la Justice a annoncé avoir rapatrié tous les Américains détenus en Irak et en Syrie qui sont poursuivis pour appui au groupe État islamique. Washington entend les traduire devant les tribunaux et fait pression depuis un moment pour que tous les pays fassent de même avec leurs citoyens djihadistes.

Le Canada a toujours su que poursuivre une personne pour un crime contre l’humanité ou un crime de guerre commis dans un autre pays ne serait pas simple. Cela ne l’a pas empêché en 2000 d’intégrer dans son droit national les obligations en ce sens découlant du statut de la Cour pénale internationale. Il a même été le premier pays à le faire.

Lundi, Farida Deif, de Human Rights Watch Canada, rappelait à ma collègue que même des Yézidis s’étant réfugiés au Canada pour fuir les exactions du groupe État islamique demandent qu’on procède à ces rapatriements. « Ils veulent que [les responsables de] ces crimes soient traduits en justice. »

Rien n’oblige légalement le Canada à rapatrier ses ressortissants, mais ne pas le faire dans un cas comme celui-ci ne serait pas cohérent avec nos prises de position passées contre l’impunité. Ce n’est pas en détournant le regard que le Canada contribuera à ce que justice soit faite. Ce n’est pas en abandonnant à leur sort les enfants et les mères non combattantes qu’il assurera sa sécurité à long terme. Le Canada, pas plus que les autres pays partisans de la primauté du droit, ne peut s’en laver les mains. 

mcornellier@ledevoir.com

À voir en vidéo