Boycottage de radio

Il est dangereux de tenir pour acquis que les autorités peuvent à leur guise utiliser les dépenses de publicité pour « punir » un média qui ne leur convient pas. Certains ont salué la décision de la Ville de Québec de cesser d’acheter des espaces publicitaires auprès de la station radiophonique CHOI-FM. Les autorités de la Ville reprochent à cette radio de banaliser, voire de soutenir les positions des complotistes et de groupes qui appellent à faire fi des restrictions imposées par les autorités au nom de la lutte contre la pandémie. En ces temps où il importe de se comporter de façon disciplinée afin de limiter les ravages d’une grave pandémie, il est tentant de considérer que la Ville a eu raison de recourir au boycottage ciblé d’un média.

Or, un tel boycottage soulève d’importants enjeux de liberté d’expression. Il faut y regarder de près lorsqu’une autorité gouvernementale prend la décision de boycotter un média comme le ferait une entreprise privée mécontente de ses positions éditoriales. À la différence d’un commerce, qui a la liberté d’évaluer les avantages et inconvénients commerciaux de placer sa publicité dans tel ou tel média, une autorité publique gère des fonds provenant de l’ensemble des contribuables ; elle doit éviter une répartition arbitraire de ces ressources destinées a priori à informer l’ensemble des citoyens — y compris les auditeurs de ces radios — sur des matières d’intérêt public.

Laisser aux élus du moment la faculté de décider à leur seule guise d’exclure de la manne des dépenses publicitaires les médias qu’ils ne trouvent pas à leur goût, c’est laisser une porte grande ouverte à l’arbitraire. C’est oublier que beaucoup de dirigeants ne se privent pas de supprimer les revenus publicitaires aux médias (surtout les médias locaux dans certaines régions) dans l’intention de les punir de leur regard trop critique à leur goût des décisions municipales.

Voilà pourquoi il importe d’établir des balises au droit des dirigeants de répartir les budgets de publicité émanant des fonds publics. En dehors de situations où l’urgence peut autoriser temporairement à se passer des nuances, il importe de ne pas perdre de vue les enjeux à long terme d’une telle reconnaissance de la légitimité de priver certains médias des dépenses publiques en publicité. Dans quelle mesure est-il légitime de reconnaître aux dirigeants politiques la faculté de choisir, au gré de leurs préférences politiques, les médias qui auraient le droit d’être gratifiés de la clientèle des organismes publics ?

Un gouvernement ne peut se comporter comme une entreprise privée, qui choisit d’annoncer ou non dans tel ou tel média. S’il est aujourd’hui de bon ton de se réjouir qu’un média que plusieurs jugent infréquentable subisse le boycottage gouvernemental, comment s’opposer plus tard de façon crédible à des boycottages de la part de dirigeants désireux de se venger de reportages trop critiques de leurs actions ?

L’inaction du CRTC

Le vieillissement des encadrements réglementaires des médias électroniques place les politiciens locaux en position de sanctionner CHOI-FM pour ses décisions de programmation. Autrement dit, les élus de Québec appliquent une réglementation qui consiste à prendre en otage les fonds publics destinés aux publicités gouvernementales. Ils sanctionnent un média qui, à leurs yeux, donne dans la désinformation. C’est précisément ce type d’évaluation qui devrait être mené par une instance experte habilitée à réglementer les médias.

Hélas, l’inaction du CRTC, cette instance ayant pourtant mission de réguler les médias électroniques, laisse la voie libre aux politiciens pour distribuer les blâmes et appliquer les sanctions qu’ils ont sous la main. En démocratie, les médias sont régulés avec le souci de protéger les impératifs de pluralisme et de liberté d’opinion. Il peut y avoir plusieurs façons de respecter les exigences d’équilibre et de rigueur. Procéder à l’évaluation de la conformité d’un média avec les exigences de rigueur imposées par les lois requiert des évaluations éclairées par l’expertise appropriée. Une telle tâche doit être assumée par un régulateur indépendant doté de l’expertise et de la capacité de regarder toutes les facettes et tous les enjeux associés aux contenus d’un média. Cela ne devrait pas être laissé à des politiciens, si bien intentionnés soient-ils.

C’est aux instances chargées de la régulation des médias qu’il revient de développer et de mettre en place des balises, des règles fixant les limites. Le CRTC est justement l’instance habilitée par la loi pour surveiller et réglementer les entreprises de radiodiffusion. À l’époque où cet organisme jouait son rôle, il avait établi des exigences à l’intention des radios qui tenaient des tribunes dans lesquelles étaient exprimés des propos controversés. Il avait même adressé des remontrances souvent sévères, comme lorsqu’il a sévi à l’égard de médias qui avaient donné la parole à des personnages comme le docteur Mailloux. Évidemment, le paysage médiatique désormais dominé par les plateformes en ligne n’est plus celui de cette époque. Mais depuis deux décennies, sans doute pour se trouver cohérent avec son approche de ne rien faire à l’égard des activités de radio et télévision sur Internet, le CRTC s’est privé de sa capacité à faire évoluer les exigences de qualité dans la programmation radio. Il omet depuis des années de mettre à niveau les règles encadrant les médias électroniques.

En négligeant d’assurer l’évolution des règles destinées à promouvoir la qualité de l’information dans les médias, le CRTC fait fi des objectifs pourtant clairement énoncés dans la législation sur la radiodiffusion et selon lesquels les médias électroniques doivent « servir à sauvegarder, à enrichir et à renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada ». Cette inaction du CRTC laisse place à l’arbitraire de la « régulation par boycottage » des politiciens qui estiment que les radios assument mal leur rôle. Le retrait de la réglementation du CRTC — souvent revendiqué dans ces mêmes radios —, c’est aussi cela !

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