Conflit ancien, guerre moderne

C’est la faute des Russes ! C’est la faute des Turcs ! Non, ce sont les djihadistes qui encore une fois veulent la peau des chrétiens !

La guerre dans le Haut-Karabakh, réveillée depuis une semaine, est un vieux conflit identitaire local, sur des territoires tragiquement mélangés entre deux ex-républiques soviétiques, énième cadeau empoisonné de Joseph Staline.

 

Mais c’est aussi un affrontement dont les ressorts internationaux sont liés aux développements les plus récents : retrait américain (là comme ailleurs), aspirations néo-
impériales de la Turquie et de la Russie, utilisation de mercenaires, sans oublier le djihad international.

À la base : une enclave à forte majorité arménienne de 150 000 personnes, officiellement sous l’autorité de l’Azerbaïdjan, mais qui, à la chute de l’URSS, s’était séparée et avait demandé son rattachement à l’Arménie.

Une guerre de six ans avait suivi, entre 1988 et 1994, avec 30 000 morts et un million de personnes déplacées ou réfugiées, dans les deux directions.

Parfois décrit comme « conflit gelé » de l’ère post-
soviétique, cet affrontement ressemble davantage à une guerre de basse intensité, car les flambées de violence reviennent périodiquement : avril 2016, juillet 2020, et encore ces derniers jours.


 
 

Dans ce face-à-face, l’Azerbaïdjan est le Goliath local et l’Arménie, le David qui tient tête et arrache même une enclave à son ennemi, qu’elle tient depuis trois décennies.

Si on élargit le regard géographique, on voit sur la carte un lacis d’influences et de proximités : Géorgie, Turquie et Iran sont à la porte ; Russie, Irak et Syrie, non loin derrière.

Sur l’axe vertical, les Russes au nord, et accessoirement l’Iran au sud, sont vus comme des amis, voire des protecteurs de l’Arménie. Mais Moscou, sous Poutine, a toujours évité de prendre complètement le parti de l’Arménie, ménageant ses rapports avec l’ex-vassal azerbaïdjanais et prétendant jouer les arbitres.

Économiquement, l’Azerbaïdjan n’est pas quantité négligeable, avec son pétrole et son ouverture maritime, pays trois fois plus peuplé, trois fois plus grand et quatre fois plus riche (en PIB) que l’Arménie… et dont l’armée, aujourd’hui soutenue par la Turquie (et apparemment par Israël !), a repris du poil de la bête.

Du plus, Bakou, dans cette affaire du Karabakh, peut se réclamer du droit international, personne ou presque dans le monde n’ayant reconnu la sécession de Stepanakert (la « capitale »).

Culturellement, l’Arménie a une identité très forte et une diaspora influente, estimée à 10 millions de personnes, soit trois fois la population du pays. Mais économiquement et militairement, elle apparaît aujourd’hui comme le parent pauvre.

Sur l’axe horizontal de la carte, l’Arménie se voit prise en tenaille entre l’Azerbaïdjan, à l’est, et l’immense Turquie à l’ouest, ennemi historique, État génocidaire en 1915.

Du côté de Tayyip Erdogan, point ici d’ambiguïtés à la sauce Poutine : la Turquie soutient totalement « le pays frère et ami qu’est l’Azerbaïdjan, de tout notre cœur et par tous les moyens […], en diplomatie comme sur le champ de bataille ». La parenté linguistique, culturelle et religieuse (turcophone, musulmane) joue ici à fond.

Erdogan se cherche — en Méditerranée contre la Grèce, en Libye contre la Russie, en Syrie et ailleurs — des causes à faire avancer. Son expansionnisme régional est de plus en plus patent. Ankara vient d’ajouter dans ses priorités une reconquête « turque » (pour ainsi dire) du Haut-Karabakh.


 
 

Du côté des méthodes militaires, la Russie et la Turquie ont remis au goût du jour, ces dernières années, l’embauche de milices privées ou semi-privées pour mener par procuration des guerres ou des guérillas avouées (Erdogan) ou inavouées (Poutine).

C’est ainsi que le fameux « Groupe Wagner » russe exécute les basses œuvres de Poutine en Ukraine, en Libye, en Syrie, sans que Moscou ait de comptes à rendre. Tandis qu’Erdogan fait de même avec ses supplétifs du nord de la Syrie (djihadistes syriens) qu’il déplace pour aller faire le coup de feu contre les « croisés » chrétiens de Stepanakert (plusieurs centaines, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme).

Le conflit du Haut-Karabakh : ancien comme les montagnes du Caucase, moderne comme les derniers drones kamikazes.

 

François Brousseau est chroniqueur d’information internationale à Ici Radio-Canada.

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