Naissance d’un réseau francophone

Il est rare de voir apparaître un nouveau type de structure internationale. D’autant que ce Réseau international des Maisons des Francophonies (RIMF) ne relève d’aucun gouvernement ni des grands opérateurs francophones. Pas la moindre politique officielle.

« On veut mobiliser la société civile autour de la francophonie et valoriser le français comme langue commune », m’a expliqué Christian Philip, coprésident du RIMF. Président de la Maison de la Francophonie de Lyon, il s’active depuis deux ans pour créer ce réseau. « On se veut d’abord un réseau d’amitié. »

L’enthousiasme ne fait aucun doute. Après tout, le RIMF, qui déposera ses statuts à l’automne, n’a pas encore d’existence légale ! Pourtant, il compte déjà 30 organismes membres dans 16 pays, dont les Maisons de la francophonie d’Ottawa, de Vancouver, de Dalat au Vietnam, de Dakhla au Maroc, la Maison de la Francité de Bruxelles, etc. « On espérait en compter 15, peut-être 20 d’ici décembre. Nous sommes à 30, plus 15 nouvelles candidatures. »

« Christian m’a parlé du projet il y a deux ans, mais ça va très vite depuis 12 mois », raconte Michel Robitaille, coprésident du RIMF et président du conseil d’administration du Centre de la francophonie des Amériques (CFA), à Québec. « Je me réjouis de voir des maisons provenant de pays non francophones, comme l’Allemagne et les États-Unis. Il y a une réelle demande. »

Michel Robitaille est à l’origine de la première grande activité de l’organisme, Ma Minute francophone, un concours qui invite le public à raconter sa réalité francophone. Dix jours après l’annonce officielle, la campagne marche du tonnerre de Dieu : le RIMF a déjà reçu plusieurs centaines de vidéos d’une minute. « Le CFA a, depuis ses débuts, une expertise en organisation de concours », explique Michel Robitaille, qui se réjouit d’y travailler conjointement avec la Maison des Francophonies de Berlin.

Mais, un instant : le CFA n’est pas, à proprement parler, une « maison de la francophonie » ! Ce qui nous amène à l’originalité fondamentale du RIMF, qui vise l’implication locale, quelle que soit sa forme. « Les maisons ne sont pas toutes des “maisons” », dit Michel Robitaille, qui explique que le critère déterminant est l’implication locale, comme pour le Carrefour du savoir et de l’innovation de l’Université de l’Ontario français, également membre.

Sur une trentaine de membres, vingt sont des maisons de la francophonie à proprement parler. La première personne à m’en avoir parlé est Marcel Morin, le directeur général de la Maison de la Francophonie d’Ottawa, une des maisons fondatrices du réseau. Ce centre multiservice de type communautaire pour les francophones locaux est très différent de la Maison de la Francophonie de Lyon, que dirige Christian Philip. Celle-ci se veut un lieu de rencontre pour l’Alliance française de Lyon, l’Université de Lyon, l’Association Lyon Québec, les consulats locaux des pays francophones. On y organise des conférences-débats et des tournées dans les lycées pour expliquer ce qu’est la francophonie. « En France, notre tâche est surtout de promouvoir l’idée de Francophonie et de donner un petit coup de gueule additionnel quand Lyon sort un slogan du genre “Only Lyon” », raconte Christian Philip.

Chaque maison aura son action propre. Celle de Berlin, logée au Centre français, a été créée à la demande des ambassades des pays francophones qui cherchaient une tribune commune de représentation. Si le Canada compte six des maisons actuelles, Michel Robitaille vise davantage. « Il faudrait absolument que l’Acadie en soit, mais le Québec devrait également être plus présent, peut-être à travers l’Université de Montréal ou la Maison de la littérature. On cherche de ce côté, mais on est ouverts à toutes les suggestions. »

À tout ce beau monde, le réseau proposera des activités communes, comme une université d’été, peut-être dès 2022. En prévision de la Journée de la francophonie en mars 2021, on espère proposer une thématique commune. « Notre idée est de fédérer de bonnes pratiques. Le message est que, si vous voulez que le français vive sur votre territoire, il faut s’organiser. »

Ce genre d’initiative ambitieuse pensée en dehors des antichambres ministérielles est loin d’être une première dans le monde francophone. Prenez l’Alliance française, ce très gros réseau international de 850 écoles de langue dans 135 pays. L’Alliance française est partie, en 1883, de l’initiative de citoyens qui cherchaient à créer des réseaux de sympathies culturelles. Cet effort de paradiplomatie a donné de très beaux résultats, en inaugurant la diplomatie culturelle française d’abord et en suscitant plusieurs imitations partout dans le monde, comme les Instituts Cervantes, les centres Confucius, les Instituts Goethe et autres British Councils. Comme quoi l’idée « farfelue » du RIMF de se lancer sans soutien officiel n’a rien de farfelu.

« Dans cinq ou dix ans, dit Christian Philip, j’aimerais voir des citoyens engagés, un réseau animé par des gens beaucoup plus jeunes que moi, capables de mobiliser la société civile autour d’une idée de la francophonie et capables de faire pression sur leurs gouvernements pour qu’ils fassent avancer les choses à l’OIF. »

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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