Les (jeunes) retraités frugaux

La COVID et le confinement auront eu du bon pour les finances de ceux qui ont conservé leur emploi ou leur « train de vie ». Et c’est une chose honorable qu’une pauvreté joyeuse, disait ce bon vieil Épicure, qui n’a jamais cumulé de points sur sa carte Air Miles. Les soldes de cartes de crédit sont presque tombés à zéro entre mars et juin. Hormis pour l’épicerie (et la SAQ), nous avons substantiellement fermé le robinet des dépenses. Nous avons peut-être aussi appris à faire une sage différence entre nécessaire et superflu, l’essentiel et les bébelles.
Il faut bien trouver un avantage à ne plus consommer inutilement pour huiler la grosse machine à sous du casino de l’économie. Comme la retraite avant 40 ans.
Une autre lubie d’Occidentaux qui ont tout ? Non, une discipline, une ascèse même. Surtout si vous n’écoutez pas votre conseiller financier ; vous avez besoin de 70 % de votre revenu à la retraite, selon lui, pour siroter le pastis sur la Côte d’Azur. Et surtout si vous tirez une certaine fierté à vous habiller chez Renaissance et à vous meubler gratos grâce aux surplus de mini-entrepôts de vos contacts Facebook.
J’ai un ami millénarial qui a garni son quatre et demie de cette façon cet été. Il ne manque d’absolument rien. Il n’est pas « simplicitaire » — ces adeptes de la simplicité volontaire —, mais plutôt « frugaliste », capable de profiter des failles du système pour engranger des sous afin de se libérer… des sous. Contrairement à la moyenne des Canadiens, il ne traîne pas 177 % de dettes sur son revenu disponible. Il économise sur tout (sauf le champagne), au risque de passer pour un pingre.
Le fruit le plus grand de la suffisance à soi-même: la liberté
Je lui ai refilé le livre La retraite à 40 ans ou comment déjouer le système pour atteindre la liberté financière de Jean-Sébastien Pilotte, auteur du blogue « Jeune retraité ».
Son livre est un bijou de dissidence dans un monde soumis à la dictature du fric et des symboles de réussite : « C’est paradoxal de constater à quel point les gens aspirent tous à être libres, hors normes, uniques et un peu rebelles, mais qu’en pratique, ils suivent aveuglément le trajet dicté par la société de consommation. »
La retraite, c’est bien ; la liberté, c’est mieux !
Voilà l’essentiel du message de Jean-Sébastien Pilotte, 42 ans et retraité avec sa conjointe depuis trois ans. Détenteur d’une maîtrise en administration des affaires (MBA), il travaillait en marketing à 55 000 $ par an et économisait la moitié de son salaire. Il offre à ses lecteurs un manifeste, un passeport vers la liberté, en étant bien conscient que le simple fait de prendre sa retraite ne rend pas forcément heureux.
Avant de rencontrer sa conjointe vietnamienne, il y a 23 ans (« Nous sommes frugaux même dans nos relations ! »), ce natif de Boucherville consommait et dépensait « normalement », c’est-à-dire trop. La culture de fourmi de son amoureuse, prévoyante et marquée par la guerre que ses parents ont fuie, a déteint sur lui. Il est devenu « frugaliste ». La différence avec un grippe-sou ? « Le « frugaliste » n’épargne pas aux dépens des autres. Il n’économisera pas sur le pourboire au resto ; il préférera manger chez lui.
Chaque dépense irréfléchie ajoute un barreau à notre prison
La pandémie n’a rien changé, ou presque, dans le mode de vie de Jean-Sébastien et de Van-Anh. Sauf qu’ils sont rentrés en catastrophe du Sri Lanka où ils étaient établis pour l’hiver. Sauf qu’elle a été infectée par le virus et s’est retrouvée très souffrante. La jeune femme a même fait part verbalement de son testament à son chéri en terminant par : « Je ne regrette rien, j’ai vécu à fond ! » Elle a survécu, heureusement.
Leur vie ressemble à une série de dimanches et l’hiver, les jeunes snowbirds qui ont renoncé aux signes extérieurs de richesse se retrouvent à surfer dans des pays où le coût de la vie reste très bas. Vivant de leurs placements, ils s’en sortent avec 30 000 $ par année à deux. Mais surtout, ils ont exploité à fond la faille du système capitaliste : la sous-consommation.
C’est ce petit élément à la portée de tous qui fait d’eux des millionnaires frugaux et des consommateurs très avertis adeptes du mouvement FIRE (Financial Independence, Retire Early). Le forfait téléphonique qu’utilise Jean-Sébastien pour faire l’entrevue avec moi lui coûte 13 $ par mois (Public Mobile). Qui dit mieux ? Van-Anh et lui épluchent chaque poste de dépense, mais prétendent ne pas se priver, du moins, pas de l’essentiel.
Un chemin moins fréquenté
« Je pense que les millénariaux bénéficient d’une chance extraordinaire en ce moment, constate Jean-Sébastien. Moi, je leur propose de sortir de l’autoroute à 12 voies pour prendre la première sortie. Internet leur permet de télétravailler à l’étranger. Tu peux vivre avec 15 à 20 000 $ par an en étant entrepreneur, mais en évitant le rat race. » Le jeune retraité qui dispense ses conseils gratuitement sur son blogue voit son livre comme un buffet dans lequel on pige ou qu’on adopte en bloc.
Ce n’est pas du premier coup que l’on trouve son équilibre et la simplicité de la vie au milieu de toutes les complications de la richesse. Il y faut de l’entêtement.
Bien sûr, dans une société où nous nous définissons par le travail, l’exercice proposé exige un peu de réflexion et d’imagination, voire de curiosité. « Tel un homme de la Renaissance, je me suis intéressé à tout, de l’histoire au design en passant par l’absinthe », écrit Jean-Sébastien.
Il y a même des familles qui ont adopté ce mode de vie. Mais, forcément, si tous les trentenaires décident de prendre leur retraite pour se mettre à l’apprentissage de l’espagnol et au tricot, la société s’écroule. Le jeune retraité avoue que ce serait désastreux. Toutefois, moins travailler et moins consommer peut avoir un effet sur le stress imposé aux ressources planétaires. L’externalité positive du mouvement frugaliste (du moins pour ceux qui ne prennent pas l’avion) est indéniable en termes écologiques.
Jean-Sébastien nous convie à une réforme des mentalités et à une valorisation de la sous-performance dans son livre paru la semaine dernière. Et cette semaine, l’auteur et sa conjointe fêtaient leur anniversaire de rencontre au parc national des Hautes-Gorges, dans Charlevoix. « Mon attachée de presse n’était pas très contente… » Le camping et l’amour passent avant la promotion. C’est aussi ça, la retraite : ne plus passer à côté de sa vie et savoir qu’elle file vite.
cherejoblo@ledevoir.com
Lorsque FLOTUS prend le crachoir
En véritable fan, j’ai écouté avec bonheur le Michelle Obama Podcast, comme une façon efficace de bloquer l’énergie négative qui entoure les élections américaines. Il y a là matière à tout : réfléchir, rire, épier (un peu), s’informer. J’ai particulièrement apprécié l’épisode avec son frère, très rigolo, qui s’étouffe lorsque son nouveau beau-frère Barack lui apprend, au détour d’une conversation de corridor dans une fête de famille, qu’il songe à se lancer en politique.
— Ah oui ? ! Politique municipale, maire ?
— Non, le Congrès ou président des États-Unis. Quelque chose comme ça.
— Tu ne parles pas de ces choses-là ici, OK ? Ils vont penser que tu es fou !
L’épisode avec l’humoriste Conan O’Brien sur les difficultés du mariage est également à écouter. Michelle qui lui dit au sujet de l’allaitement : « Comment pouvez-vous aller au gym pendant que nous avons des feuilles de chou sur les seins ? »
Les sujets sont variés, le ton très simple — je dirais, américain —, et l’épisode avec l’amie médecin sur la santé des femmes m’a plu énormément. On apprécie la franchise et les mots pour le dire. Sur Spotify.
Joblog
Aimé le documentaire The Social Dilemma, sur notre utilisation des réseaux sociaux, nos clics addictifs et l’influence pernicieuse de ces réseaux sur le tissu social en général. Les conclusions glacent un peu le sang. Et si nous l’avions échappée, taux d’anxiété à l’appui ? Les experts interviewés nous avertissent : les écouterons-nous ? Nous sommes le produit et notre dimension marchande est indéniable. Jean-Sébastien Pilotte nous rappelle dans son livre que nous passons 19 % de nos heures d’éveil sur les RS. À voir sur Netflix.
Visité le blogue de Jean-Sébastien Pilotte, « Jeune retraité ». C’est truffé de conseils et le jeune retraité y expose sa philosophie très clairement. Il y parle notamment d’hiver au soleil, d’épicerie pour les nuls et de son conseiller-robot. Un prélude à une nouvelle vie.
Reçu Cosmétiques solides de Sylvie Fortin. Les produits cosmétiques non toxiques ont la cote. En parcourant le livre de « recettes » de shampooing, savon et dentifrice de l’auteure, je me suis dit que c’était un beau projet de retraite que de fabriquer soi-même son baume à lèvres au sirop d’érable et son lait nettoyant à la farine de pois chiche. Quand on connaît la marge de profit sur ce genre de produits (rien que l’emballage !), on apprécie une option à la fois économique et écolo.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.