Une bien timide ambition

Le regain de vigueur de la pandémie ne laissait pas de choix au premier ministre Justin Trudeau, cette dernière devait être au cœur de sa nouvelle feuille de route. Elle l’est, reléguant au second plan ses ambitions à plus long terme. Celles-ci n’ont toutefois pas disparu, quitte à causer quelques frictions avec certaines provinces et à laisser les milieux financiers sur leur faim.

Ce discours du Trône, lu mercredi par la gouverneure générale Julie Payette, dresse un portrait des sacrifices imposés par la pandémie et des conséquences douloureuses de cette dernière pour les entreprises et les citoyens, en particulier les plus vulnérables. Le gouvernement répète qu’il ne les laissera pas tomber, pas plus que les provinces d’ailleurs, et qu’il sera là « aussi longtemps que la crise durera ».

De nouvelles mesures pour rassurer les entreprises sont au menu et on promet de s’attaquer aux problèmes que la crise a mis en relief, que ce soit pour les personnes âgées, les sans-emploi, les femmes, les itinérants, les personnes racisées. On cite aussi les différents défis du système de santé et la nécessité d’une « croissance propre » et juste.

Le diagnostic est généralement très juste, mais les réponses peuvent laisser perplexe. Ainsi, le fait que le système d’assurance-emploi n’est plus adapté au marché du travail actuel a crevé les yeux durant la pandémie, le gouvernement devant combler les failles avec sa prestation d’urgence. Après avoir évoqué les dernières mesures temporaires adoptées, le discours souligne que « cette pandémie a montré que le Canada a besoin d’un régime d’assurance-emploi adapté au XXIe siècle, y compris pour les travailleurs autonomes et les personnes qui travaillent dans l’économie de la demande ». On est d’accord, mais le discours passe alors à un autre sujet. Le gouvernement ne dit pas ce qu’il entend faire pour remédier au problème de façon durable ni quand.

Par contre, il se montre plus loquace pour ce qui est de soutenir de meilleurs services de garde. On promet de travailler avec les provinces pour en venir à « un investissement important, soutenu et à long terme ». Ce n’est pas la première fois que les libéraux promettent cela, mais ça bloque la plupart du temps parce que les provinces sont responsables de ces services.

Il en va de même pour la santé. M. Trudeau revient par exemple sur son projet de normes canadiennes en matière de soins aux aînés. Ou encore sur son engagement électoral d’assurer aux Canadiens un accès à un médecin de famille, ce qui avait déjà fait tiquer les provinces l’an dernier. En réitérant ces promesses, le premier ministre veut-il faire comprendre aux provinces ce qu’il espère obtenir en échange de toute augmentation des transferts en santé ? Les premiers ministres provinciaux, qui doivent discuter de la question avec M. Trudeau cet automne, ne veulent pas de hausse conditionnelle. Bref, les libéraux fédéraux font miroiter en ce domaine des changements dont ils ne contrôlent pas la mise en œuvre.

L’ambition des libéraux se trouve finalement ailleurs, en voulant entre autres créer un million d’emplois en s’appuyant avant tout sur « les mesures en faveur du climat ». Il est donc question d’investir au cours des deux prochaines années dans des infrastructures de tous genres, en particulier vertes, comme le transport en commun, les rénovations écoénergétiques et l’énergie propre.

On veut toujours faire en sorte que le Canada soit carboneutre d’ici 2050, mais les nouvelles mesures pouvant permettre d’atteindre cet objectif, qui lui est réellement ambitieux, sont insuffisantes, sans être inintéressantes, comme ce nouveau fonds pour attirer les investissements dans la fabrication de produits zéro émission. On s’engage aussi à soutenir la transition de plusieurs secteurs industriels, dont celui de l’énergie, mais qu’en pensera l’Alberta qui, sans être nommée, se sentira visée ?

Et une fois tout cela dit, comment paie-t-on la facture ? Le discours donne de maigres indices sur les balises que le gouvernement entend suivre pour guider la gestion des finances publiques à la sortie de cette crise qui a fait exploser le déficit et la dette. « L’heure n’est pas à l’austérité », dit le gouvernement. Il a raison, mais plus de clarté aurait été apprécié. Dire qu’on envisage de « nouveaux moyens de taxer les inégalités extrêmes » pour renflouer les coffres et qu’on reste attaché aux valeurs « de viabilité et de prudence » ne peut suffire à dissiper l’inquiétude des prêteurs dont Ottawa aura besoin pour longtemps.

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