Choisir l’audace

Il y a un mois, le premier ministre Justin Trudeau semblait tout feu tout flamme en annonçant la présentation du discours du Trône. Il promettait un plan audacieux pour contenir la pandémie, mais aussi pour ouvrir la voie à une économie plus équitable et plus verte. Le regain de vigueur de la pandémie a depuis semé des doutes sur ses intentions et provoqué des appels à la modération financière.

Il est vrai que plus les contraintes imposées par la crise sanitaire se prolongent et plus l’aide du gouvernement risque de devoir s’étirer et la facture, de s’alourdir. Avec un déficit frôlant déjà les 400 milliards de dollars, on est en droit de se demander si le gouvernement aura la marge de manœuvre pour financer ses projets à plus long terme.

La seconde vague de la COVID-19 impose des ajustements, prudence oblige, mais le gouvernement ferait fausse route s’il abandonnait du même coup sa volonté d’assurer une sortie ambitieuse des crises sanitaire et économique. Un discours du Trône, comme celui qui sera présenté aujourd’hui, n’est pas un exposé budgétaire, mais une feuille de route pour le court et le long terme. La pandémie occupera évidemment l’avant-scène, mais il y sera aussi question de l’après. Ce sont les choix faits pour cet après qui nous permettront de mesurer l’audace du gouvernement Trudeau, et non l’ampleur des sommes investies (il faudra attendre un futur budget ou énoncé économique automnal pour le savoir).

La pandémie a exposé avec acuité les lacunes de nos filets social et sanitaire et les inégalités criantes face à la maladie et à la récession. Ces réalités ne peuvent être ignorées. Mais pour avoir les moyens de ses ambitions, le pays doit d’abord traverser la pandémie, bien sûr, mais ensuite opérer un virage économique. La lente croissance de ces dernières années ne suffira pas à éviter une détérioration des finances publiques. Il faut faire mieux.

Or, une économie plus vigoureuse veut dire une économie plus compétitive, et actuellement les secteurs des énergies renouvelables et des technologies vertes sont parmi ceux qui progressent le plus vite. Les milieux des affaires et financier en prennent de plus en plus note. À la fin de juin, des chefs de grandes entreprises ont d’ailleurs interpellé l’ancien ministre des Finances, Bill Morneau, pour que les investissements à venir ne servent pas seulement à reprendre notre train-train, mais à jeter les bases de l’économie du futur, c’est-à-dire durable, faible en carbone et plus verte.

L’importance de l’industrie canadienne des énergies fossiles pèse toujours dans ce genre de décisions, mais la réalité est que ce secteur perd du terrain au profit de celui des énergies renouvelables. La valeur des actifs du secteur pétrolier fléchit. Des fonds souverains, comme celui de la Norvège, boudent les grands émetteurs de gaz à effet de serre, comme les sables bitumineux.

La semaine dernière, le géant BP a publié ses prévisions annuelles pour le secteur de l’énergie. Selon ses experts, la demande en énergie ne va pas baisser après la pandémie, mais la part des différentes sources d’approvisionnement va changer, les énergies fossiles perdant au change. Pour ce qui est du pétrole, l’entreprise prévoit une demande mondiale décroissante au cours des 30 prochaines années. On comprend mieux la volonté de BP de réduire sa production de pétrole de 40 % d’ici 2030 et de vendre son secteur pétrochimique afin d’investir dans les énergies renouvelables.

Des pays ont aussi annoncé leur intention de devenir carboneutres d’ici 2050. De grands concurrents du Canada en Europe et en Asie ont adopté ou sont sur le point d’adopter des politiques de relance post-pandémie allant dans cette direction. Ils y investissent des milliards. À elle seule, l’Union européenne prévoit d’y consacrer le tiers de son budget de relance de 1,17 billion de dollars.

Le Canada est en retard alors que le potentiel est là. Encore faut-il déployer les efforts nécessaires pour assurer un solide décollage et une croissance durable. Disons-le cependant, cela ne peut se faire sans une stratégie industrielle cohérente et visionnaire assortie de politiques sociales capables de réduire le fossé des inégalités économiques.

À court terme, l’urgence sanitaire demeure incontournable et doit être la priorité du gouvernement, mais la pandémie ne doit pas devenir un prétexte à faire du surplace. L’ancienne greffière du Conseil privé, Jocelyne Bourgon, résumait bien la chose lors d’une table ronde organisée par le Globe and Mail. « Nous gérons une pandémie, une crise aux répercussions énormes. Cela ne signifie pas cependant qu’on ne peut pas le faire d’une manière qui place le Canada, les secteurs et les individus en meilleure posture. »

C’est aussi un devoir envers les générations futures. Le fossé des inégalités ne peut continuer à se creuser, ni le déficit environnemental qui, contrairement à celui budgétaire, ne peut être effacé. Alors, oui, il faut de l’audace. Comme d’autres générations de décideurs en ont eu en réponse aux crises de leur époque, de la création des institutions multilatérales à la mise en place de l’État-providence. L’heure des choix arrive et ils n’auront jamais été aussi cruciaux pour les décennies à venir.

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