Drôles d’écolos
Dans un monde où le président de la première puissance du monde s’exprime comme un charretier et multiplie les déclarations incendiaires, on ne s’étonne plus de rien. Pourtant, lorsque Pierre Hurmic a affirmé que « l’opinion des fachos », il s’« assied dessus », je n’ai pas pu m’empêcher d’être interloqué. Au printemps, j’avais rencontré le candidat écologiste de Bordeaux dans son petit local de la rue des Trois-Conils. L’homme qui briguait la mairie depuis 20 ans m’avait semblé pragmatique. Il se décrivait lui-même comme un écolo responsable qui voulait en finir avec le bétonnage et les embouteillages que connaissait la ville.
On comprendra ma surprise lorsqu’il a traité ses opposants de « fachos ». Car les « fachos » en question n’avaient réclamé ni l’expulsion des immigrés ni l’emprisonnement des sans-abri de Bordeaux. Ils avaient simplement souhaité que l’on préserve une tradition qui fait le bonheur des enfants de tous âges et qui veut que l’on érige en décembre un arbre de Noël sur la place de l’hôtel de ville.
Quelle ne fut pas la surprise des Bordelais de découvrir que, pour le nouveau maire, si vous avez le malheur de faire un arbre de Noël avec vos enfants durant le temps des Fêtes, vous n’êtes pas loin d’être un disciple de Mussolini. L’édile vous expliquera d’ailleurs qu’il compte bientôt faire adopter une « charte des droits des arbres ». Les exemples qui circulent sur Internet désignent ceux-ci comme des « êtres vivants fixes » qui « doivent être respectés tout au long de leur vie ». Ne riez pas ! Pierre Hurmic vient peut-être d’inventer l’antispécisme sylvicole. À quand l’interdiction des carottes râpées dans les cantines pour cause de barbarie ? a demandé avec ironie un internaute.
Cette décision ne serait qu’une toquade si les nouveaux maires écolos élus au printemps dernier ne rivalisaient pas de déclarations toutes plus extrémistes les unes que les autres. À Lyon, le maire Grégory Doucet s’est opposé à ce que sa ville accueille le Tour de France sous prétexte que cette manifestation serait « machiste et polluante ». Imagine-t-on la mairesse de Montréal interdire les matchs de la Coupe Stanley parce que le hockey est un sport trop viril ? Doucet a aussi refusé de participer aux traditionnels « vœux des échevins » à l’occasion desquels, tous les 8 septembre, le maire gravit la colline de la basilique de Fourvière afin de remercier la Vierge d’avoir sauvé la ville de la peste en 1643. Le lendemain, il posait pourtant la première pierre d’une mosquée. Plus tôt, il avait refusé que les avions acrobatiques de la Patrouille de France, qui laissent derrière eux une traînée bleu blanc rouge, survole sa ville la veille du 14 juillet.
Et le bêtisier ne s’arrête pas là. Le maire de Grenoble dit s’opposer, lui, à la 5G en prétextant qu’elle servira à « regarder du porno » dans l’ascenseur. Selon le même Éric Piolle, il y aurait cependant urgence de « dégenrer » les cours de récréation en diminuant l’espace réservé au sport. Nombre de ces maires ont évidemment proclamé l’utilisation de ce nouveau code orthographique vertueux qu’on appelle l’« écriture inclusive » pourtant interdit par le Conseil d’État dans les textes officiels et administratifs.
Ces maires ne sont élus que depuis quelques mois et déjà une majorité de la population se demande ce que l’écologie a vraiment à voir avec les arbres de Noël, le Tour de France et les débats sur le « genre ». Bref, on se demande si ces maires souvent élus avec de très faibles majorités et à l’occasion d’une forte abstention n’en profitent pas pour engager une guerre idéologique qui n’a rien à voir avec l’environnement.
De là à se demander si le véritable programme politique de cette extrême gauche ne consisterait pas plutôt à rééduquer le peuple en faisant la promotion d’idées par ailleurs ultraminoritaires dans la population, il n’y a qu’un pas. Pourtant, cet « homme nouveau » n’est pas près d’advenir, comme l’illustre un sondage selon lequel 80 % des Français tiennent mordicus à leur arbre de Noël et à la 5G. Ils sont aussi 65 % à refuser de boycotter le Tour de France, qui est le troisième événement sportif le plus suivi au monde.
On a non seulement le sentiment que ces élus sont des « rabat-joie », comme l’a dit la ministre de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, mais qu’ils détestent tout ce qui relève de la culture populaire française. Ce n’est pas sans raison que le chroniqueur Brice Couturier évoque une « gauche triste » qui a « la passion de limiter, de contraindre, de censurer et d’interdire ».
Est-ce un hasard si ces écologistes radicaux sont la plupart du temps élus dans des quartiers très embourgeoisés des centres-villes ? Chose certaine, ils sont caractéristiques de cette guerre culturelle que semblent vouloir engager ces nouvelles élites qui dominent aujourd’hui l’université, les scènes branchées et de nombreux médias.
Drôles d’écolos, prêts à verser toutes les larmes du monde devant un arbre mort mais qui n’hésitent pas à passer le bulldozer dans des habitudes et des traditions culturelles plusieurs fois centenaires. Comme si l’écologie, justement, ne nous avait pas enseigné à nous méfier des utopies modernistes qui ne détruisent pas que la nature, mais aussi les peuples et les solidarités, les sociétés et leurs riches traditions culturelles.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.