Brexit, le retour

« Nous ne compromettrons pas les fondamentaux de ce qu’être un pays indépendant signifie. Nous ne pouvons accepter de compromis sur les conditions de notre indépendance nationale. »

Paroles du premier ministre britannique, Boris Johnson, dans une déclaration diffusée dimanche soir, à la veille d’une reprise des négociations du Brexit (ou « post-Brexit ») entre Londres et Bruxelles, qui s’annoncent difficiles, voire impossibles.

Le fantôme du Brexit — et même du « Brexit dur » — est de retour. Car non, au cas où vous l’auriez oublié, le divorce entre Britanniques et Européens, voté le 23 juin 2016 par une courte majorité de sujets de Sa Majesté — contre l’avis des Écossais et des Nord-Irlandais —, n’est pas encore vraiment consommé.

Au moment où ces lignes sont écrites… les Britanniques, pour la circulation de leurs produits et de leurs services outre-Manche, n’ont pas encore changé de régime face à l’Union européenne.

Ils bénéficient encore, jusqu’au 31 décembre, des facilités et des libertés de circulation « européennes ». Ce qui n’a pas empêché le PIB britannique — pour cause de COVID-19, et plus horriblement qu’ailleurs : presque -20 % au Royaume-Uni, contre -15 % en France et -10 % en Allemagne (1) — de dégringoler, et ce, avant même que « l’effet Brexit » ne soit pris en ligne de compte !


 

L’accord de divorce a été signé en octobre 2019, plus de trois ans après le fameux référendum, dans la foulée d’un feuilleton interminable de négociations à Bruxelles, de protestations écossaises, d’inquiétudes irlandaises, de votes et de contre-votes (parfois clownesques) aux Communes britanniques.

Mais cet accord ne faisait qu’avaliser le principe de la séparation, remettant à un an (ou 14 mois) plus tard le départ effectif. Avec, tout au plus, quelques éléments explicites sur « l’après » : notamment, la question des frontières irlandaises (frontière interne et frontière avec l’Europe continentale), sur laquelle il y avait eu entente.

En signant, les parties faisaient miroiter l’espoir fou (à moins qu’elles aient eu les doigts croisés derrière le dos) d’accoucher d’un accord commercial complet entre l’Union européenne et le Royaume-Uni pour le 31 décembre 2020… rien que ça !

Quelques séances de négociations ont eu lieu, entravées par la COVID-19 et « n’allant nulle part », selon les mots de hauts fonctionnaires bruxellois, anonymes et exaspérés.


 

Cette semaine, pour la forme, une nouvelle session de pourparlers doit se dérouler… alors même qu’aux Communes, le Parti conservateur se prépare à présenter un projet de loi qui affirmera de manière très ferme le parti pris souverainiste du gouvernement.

Une rumeur veut que l’accord sur l’Irlande, qui avait permis le déblocage d’octobre dernier, soit remis en cause par ce projet de loi… pour « déni de souveraineté ». Les Irlandais sont effarés. En Écosse, l’indépendantisme (pro-européen) remonte. À Bruxelles, on avertit Boris Johnson : « Ce qui a été signé a été signé. »

Et cela, sans parler de ce qui est censé venir après : un accord de base sur les « règles du jeu » commercial, pour lequel la partie britannique rechigne déjà. L’Union européenne souhaite que le Royaume-Uni s’en tienne grosso modo à ses règles déjà établies, sur des sujets comme les droits des travailleurs, les réglementations environnementales et les aides d’État aux entreprises.

Et on n’a pas parlé du dossier explosif de la pêche : Londres veut une application maximale de ses prérogatives et exclusivités territoriales. Les Européens — et en particulier les Français — vont-ils « lâcher le morceau » sur ce sujet ?

Peut-il encore y avoir, d’ici au 31 décembre, un accord de libre-échange a minima ? En fait, la date du 31 décembre a déjà été ramenée, dans différentes déclarations, au 15 octobre, car il faut tenir compte des délais de ratification par les Parlements.

Un accord de libre-échange d’ici la fin de l’année ? C’est plutôt le Brexit dur qui se profile. Quand on dit qu’il y a un prix à l’indépendance… Déjà éreintés par la COVID-19, les Britanniques seront-ils prêts à en payer le gros prix en 2021 ?

(1) Chiffres arrondis, tirés des statistiques officielles pour le second trimestre 2020.

 

François Brousseau est chroniqueur d’information internationale à Ici Radio-Canada.

 

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