Pas un jardin de roses

Ceux qui ont vécu les événements d’octobre 1970, avec ses crimes perpétrés par des alouettes en colère et ses arrestations arbitraires sous la Loi des mesures de guerre, s’indigneront ou revendiqueront ce documentaire forcément partial, mais fascinant. Les plus jeunes auront sans doute du mal à saisir l’effervescence et la violence de ces temps chauds. Car un climat politique agité à des années-lumière de notre XXIe siècle se dessine sous leurs yeux.

Les Rose, que Félix Rose consacre à son défunt père, Paul, politicologue et syndicaliste — pour la postérité, ex-felquiste de la cellule Chénier derrière la séquestration et la mort du ministre Pierre Laporte —, ne fera pas l’unanimité. En salles depuis vendredi, il apporte un éclairage romantique sur des événements porteurs de dénouements tragiques.

Dur d’être le fils de Paul Rose, père aimant doublé d’un taiseux peu enclin à évoquer son passé ! Félix porte sur lui un regard bienveillant, filiation oblige.

Ne comptez pas sur son documentaire pour apporter la clé de l’énigme sur les circonstances entourant la mort de Laporte. Les membres de la cellule Chénier : Francis Simard, Jacques Rose, Paul Rose et Bernard Lortie (ces deux derniers étaient absents des lieux, le jour fatidique), tout en endossant la responsabilité collective de sa terrible fin, n’en ont jamais divulgué les détails.

Décédé des suites de sa tentative d’évasion en fracassant une vitre ou aux mains de ses ravisseurs, ce ministre libéral abandonné dans le coffre de sa Chevrolet ? Mystère ! Les témoignages recueillis ici mettent surtout l’accent sur la responsabilité du gouvernement Bourassa qui refusa de céder aux revendications du FLQ : la libération de prisonniers politiques contre celle de Pierre Laporte. Bien des pans d’ombre subsistent, du côté de Québec et d’Ottawa aussi. Le sacrifié allait donner son nom à un pont. On est peu de chose…

Avec des interviews de Jacques Rose, de ses sœurs, de la veuve de Paul et d’ex-militants ainsi que force documents d’archives — certains restaurés pour l’occasion —, c’est l’histoire de la famille Rose qui captive. Arrachés enfants à Saint-Henri pour vivre à Ville Jacques-Cartier (annexée depuis à Longueuil), les Rose en avaient bavé. Ce bidonville aux maisons de bric et de broc, sans commodités, repaire de criminalité mais aussi de débrouillardise et de solidarité, fut leur terrain de jeu et un tremplin vers le militantisme.

Le pilier du clan

 

Le personnage marquant du documentaire, sa vraie figure de proue, est la mère des frères Rose, qui mériterait un film consacré à sa vie. Elle avait connu un long épisode de dépression avant de devenir un pilier du clan contre l’adversité.

Cette frêle femme, qui depuis son mariage répondait au doux nom de Rose Rose, modèle d’amour maternel, d’engagement et de détermination (très impliquée dans le Comité d’information sur les prisonniers politiques), impressionne. Le documentaire, avec ses photos et vidéos d’époque, ressuscite la dame de feu. Cette mère inspirait une vraie vénération à Paul Rose, qui enregistrait secrètement en prison des paroles à son intention. « On regarde le temps qui passe, lui disait-il. On laisse couler ça par en dedans comme un grand fleuve. Le fleuve Saint-Laurent. »

Derrière les barreaux, lui et son frère défendaient les droits de leurs codétenus, orchestraient des activités culturelles. Rien n’est tout noir et tout blanc dans leur vie marquée par l’activisme social et politique malgré l’indélébile tache de sang qui les éclabousse. « Notre but n’était pas de prendre les armes », avouait Paul Rose à Marc Laurendeau sur les ondes de Radio-Canada en 1980. Mais ils les ont prises.

Le film remonte le cours des cellules ardentes du Front de libération du Québec, qui dévalisaient des banques pour financer le mouvement, en plus de larguer des bombes (en février 1969, à la Bourse de Montréal, 27 personnes furent blessées). Retour aussi à la Maison du pêcheur de Percé, plaque tournante de rencontres et de militantisme, ainsi qu’à Montréal, entre méfaits, retraites cachées et coups d’éclat.

Félix Rose ne condamne pas le mouvement, mais éclaire du moins le contexte des engagements politiques extrémistes du temps. Le FLQ visait par le terrorisme la libération du Québec et des travailleurs, dans le sillage des flambées marxistes-léninistes internationales. René Lévesque réprouvait ces méthodes violentes, qui salissaient son rêve pacifique d’indépendance. Des images du film rappellent cette opposition farouche du politicien, outré après une ovation de militants péquistes à Jacques Rose. Il n’aura jamais pardonné aux felquistes d’avoir fait couler le sang et semé la terreur pour promouvoir une cause chère à son cœur. Un verdict sans appel, maintes fois asséné au fil de son parcours : « Pas de ça en démocratie ! » La guérilla était finie.

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