Le défi masculin

Cet été, la vague de dénonciations a frappé de plein fouet le milieu culturel. Surtout celui de la musique populaire, par tradition « sex, drug and rock roll ». Certains abus soulevés, non démentis pas leurs auteurs, donnaient la nausée. Que des vedettes s’amusent à exhiber leur sexe à tout venant, à sauter sur tout ce qui bouge ou à tremper leur pénis dans les verres des filles à leur insu pour en rire entre compères paraît surréaliste. La gloire semble conférer un sentiment d’impunité. Mais des obscurs et des sans-grade ne font guère mieux. Il n’existe pas de petit pouvoir…

Flotte pourtant un malaise autour des exécutions minute sans procès, souvent anonymes (certaines sans fondement), brisant des carrières sur des allégations lancées en pleins médias sociaux ou traditionnels, au mépris du droit. D’un autre côté, ces accusations de femmes et parfois d’hommes contre leurs agresseurs reflètent à quel point le système de justice se liquéfie devant les plaintes pour viols, pour harcèlement sexuel ou psychologique, pour menaces proférées. Il doit s’adapter vite.

Le terrible feuilleton estival de l’affaire Martin Carpentier, un homme qui a tué ses deux fillettes avant de s’enlever la vie, évoquait d’autres drames familiaux, infanticides ou féminicides. La liste est longue. Plusieurs hommes sont des gentlemen et certaines femmes se révèlent de pures criminelles. C’est toutefois dans les rangs masculins que l’immense majorité des violeurs, des harceleurs, des batteurs et des tueurs de femmes ou d’enfants se retrouvent.

Qu’attend-on pour se pencher sur les problèmes de garçons et d’hommes en mal de repères ? Plusieurs d’entre eux se sentent déconcertés par les revendications féministes. Certains furent privés de pères après un divorce parental. La société a changé si vite… Dans le monde du travail, les deux sexes doivent apprendre à cohabiter ; ce qui n’est pas chose aisée. Le rôle masculin du pourvoyeur s’effiloche, mais les schèmes d’autrefois ont la vie dure. Bien des cellules familiales éclatent, avec luttes pour la garde des enfants et frustrations masculines accrues.

Pour une campagne de prévention

 

Des hommes en perte de contrôle explosent parfois. Les sanglants faits divers le crient les uns après les autres. Les féministes ont fait leur révolution même si bien du chemin reste encore à parcourir. Reste l’impression que de nombreux hommes peinent à remiser les vieux moules de virilité sclérosants (ne pas se plaindre, ne pas pleurer, dominer le clan) légués au berceau. Les personnalités culturelles au banc des accusés se font ici le reflet d’un fléau social.

Les hommes consultent peu. Ceux qui suivent une thérapie pour violence familiale ont en général déjà malmené leur conjointe. Ou leur ex. Car la séparation constitue une étape dangereuse. Quant aux viols et aux incivilités de tout poil, ils révèlent un manque de respect de l’autre qui réclame un apprentissage du civisme. La conviction machiste voulant que le corps des femmes (et de certains hommes) appartienne aux mâles perdure au XXIe siècle, ici comme ailleurs. Dire : « Un gars, c’est un gars » ne résout rien et absout tout.

Une des erreurs de nos services sociaux fut d’avoir tout misé sur les victimes (ce besoin demeure criant), sans prévenir en parallèle de nouveaux drames en s’occupant aussi des hommes. Or, l’un ne va pas sans l’autre.

À quand une campagne nationale publique de prévention des crimes familiaux et sexuels, à travers les médias traditionnels et sociaux ? Le Québec pourrait être un précurseur dans le domaine en ciblant une clientèle masculine fuyante, en détresse, parfois prédatrice en herbe. Son but ne serait pas d’attaquer la masculinité, mais d’aider les agresseurs potentiels à canaliser leur colère, à se réapproprier des codes de séduction civilisés, en rappelant à tous que certains comportements ne passent plus, dans un monde en bouleversement.

Tant qu’une majorité de femmes dénonce les abus sur la place publique, plusieurs garçons et jeunes adultes restent sourds. Ils ont besoin de figures masculines tutélaires venues leur parler publiquement des nouvelles formes de virilité hors du rapport de force. Trop d’hommes, sur la défensive, refusent de prendre le crachoir. Or, les défis contemporains réclament, aux côtés du chœur des femmes, des voix masculines puissantes (parfois des vedettes éclairées), qui vivent ces dilemmes dans leur chair.

À la mi-juillet, Isabelle Brais, l’épouse de François Legault, exhortait avec raison les hommes, même les princes, les chevaliers et les gentlemen, à s’insurger contre les agissements de leurs frères déviants : « J’aimerais tellement entendre ce que vous avez à dire. » Peu ont réagi. Mais sans mobilisation masculine, le dialogue de sourds risque de dégénérer en escalade d’abus et en guerre des sexes. Et qui veut le pire ?

  

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