Le reste du vivant

«Je ne suis pas fatiguée de répéter la vérité. Je trouve qu’elle est très rafraîchissante», lance l’écoféministe et scientifique Vandana Shiva.
Photo: MR «Je ne suis pas fatiguée de répéter la vérité. Je trouve qu’elle est très rafraîchissante», lance l’écoféministe et scientifique Vandana Shiva.

Tout de même fascinant, ruminé-je, qu’on se bouscule pour un cétacé égaré dans le fleuve, mais qu’on ne s’inquiète pas outre mesure d’un million d’espèces animales et végétales (sur plus de huit millions) menacées d’extinction en ce moment même sur Terre.

J’ai eu le privilège d’en discuter avec deux spécimens rares non protégés, l’écoféministe indienne Vandana Shiva et le moine bouddhiste français Matthieu Ricard, bien connu pour son implication pour les animaux et la nature. Elle est philosophe des sciences (diplômée en Ontario d’un doctorat sur les fondements de la théorie quantique), et lui docteur en génétique cellulaire. Ils se sont mis tous deux au service du bien commun ; leur longue feuille de route en fait foi.

Grâce à la magie de Zoom, Mme Shiva profite d’une chaude soirée à Dehradun, au nord de l’Inde, et Matthieu Ricard d’un après-midi ensoleillé dans la Dordogne française – il a quitté le Népal pour s’occuper de sa maman durant la pandémie –, et moi, au saut du lit, Rive-Sud (Montréal). Nous sommes réunis virtuellement et spirituellement grâce à leur visionnaire ami Charles-Mathieu Brunelle, directeur d’Espace pour la vie (Biodôme, Insectarium, Jardin botanique, Planétarium). J’ai droit à une bonne demi-heure en compagnie de personnes que j’admire infiniment pour leur absence d’ego, leur altruisme et leur combativité indéfectible. Au menu, un sujet d’actualité : la biodiversité et comment activer le potentiel humain en sa faveur.

L’univers n’est pas un catalogue pour exaucer nos désirs

La proximité, l’émerveillement et l’interdépendance peuvent nous inciter à protéger ce qu’on appelle le « reste du vivant » pour évacuer ce terme froid de la « biodiversité ».

« On ne fait pas brûler notre maison avant de la donner à nos enfants », s’enflamme le moine de 74 ans vêtu de son éternelle tunique safran. Dans son sari bourgogne, Mme Shiva opine du chignon. « Nous avons créé la crise écologique, nous avons créé cette violence. Ici, en Inde, on aperçoit l’Himalaya à 200 kilomètres pour la première fois depuis 30 ans et les éléphants reviennent dans les rues. Ce sont des choses que je voyais dans mon enfance ! »

Matthieu Ricard, lui, nous ramène constamment à l’humilité : « Si on transpose 3,5 milliards d’années de vie sur Terre sur 24 heures, 99,9 % de cette vie s’est déroulé sans nous. Les humains sont arrivés durant les cinq dernières secondes. »

Photo: Raphaële Demandre «Si on retrouve l’émerveillement et le respect face à la nature, on a envie d’en prendre soin», pense le moine bouddhiste Matthieu Ricard.

La biodiversité de l’esprit

Aussi calée en physique mécanique qu’en semences ancestrales qu’elle préserve des Monsanto de ce monde depuis 30 ans, Vandana Shiva s’est portée à la défense du vivant et a fondé son Université de la Terre à Delhi. Elle codirige également le Forum international sur la mondialisation et milite depuis un demi-siècle pour l’interconnexion et la « biodiversité de l’esprit » : « C’est une histoire de supériorité, celle des Blancs, celle du patriarcat, celle des religions. Mais un microbe dans le sol n’est pas moins signifiant qu’un tigre. Et les 300 nouveaux virus transmis aux humains depuis 30 ans nous viennent de la forêt. » COVID-19 incluse.

Sans surprise, comme son ami moine, cette lauréate du prix Nobel alternatif est végétarienne.

 

Matthieu Ricard confirme : « Nous nous sommes extraits de la nature. Or, un virus de rien du tout — de 100 nanomètres — a brisé notre arrogance. En Inde et au Népal, les gens n’ont pas besoin de ce rappel pour savoir à quel point la vie est fragile. À cause des inondations, des moussons et des tremblements de terre, ils savent que nous devons être plus intelligents et démontrer davantage de compassion. »

Lorsque je leur demande pourquoi on se réfère constamment à des scientifiques comme eux, mais qu’on ne les écoute jamais quand vient le temps de protéger notre environnement, ils pensent encore en termes de diversité : « Nous travaillons avec des systèmes vivants, donc complexes. Il faut que plusieurs disciplines scientifiques s’unissent pour travailler en harmonie. C’est ce qui va nous protéger », croit Vandana Shiva.

« Il y a une incroyable méfiance face à la science, constate Matthieu Ricard. Cela prend du temps et des efforts pour acquérir des connaissances valides. Il est plus facile de croire de fausses nouvelles qui vous offrent des réponses sans effort. Les changements climatiques vont apporter de plus en plus de souffrances comme celles que nous vivons maintenant. Si les dirigeants pouvaient utiliser le dixième de la détermination déployée en ce moment pour relancer l’économie, mais en faveur de l’environnement ! J’espère que ce ne sera pas oublié. Écoutez ceux qui ont l’expérience. » Il n’a pas parlé de science infuse, il est bien trop sage pour ça.

Les oiseaux nés dans une cage pensent que voler est une maladie

Des jardins partout

Vandana Shiva espère des jardins partout, dans les cours d’école, derrière les églises, devant les maisons, pour enrayer les dommages causés par la monoculture destinée en grande partie à la viande industrielle. « 90 % de ces cultures de soya et de maïs OGM servent à nourrir des animaux et le biodiesel. C’est de l’anti-nourriture subventionnée et ça impacte sur la biodiversité, augmente la résistance au Roundup [glyphosate] et autres fertilisants, ainsi qu’aux antibiotiques. Il faut cesser de globaliser la nourriture et la localiser. »

Ne sont-ils pas las de militer et de voir leurs idées pourrir sur pied ? Le moine est zen : « Nous sommes dans une civilisation de la répétition, disait mon père » — le philosophe Jean-François Revel. « On ne devrait pas sous-estimer le pouvoir des idées. Mais ça prend 20 à 30 ans pour que des changements opèrent. Il faut toute une toile de psychologues, de scientifiques, d’activistes qui coopèrent. »

« Je ne suis pas fatiguée de répéter la vérité, renchérit Vandana Shiva. Je trouve que la vérité est très rafraîchissante, au contraire. Chaque miracle quotidien me réjouit. Je ne peux me lasser du papillon qui passe, de la graine qui devient plante. Nous sommes séparés de la nature, distanciés, en grande partie à cause de la mondialisation. Les gens ne comprennent pas que leur consommation immédiate affecte les baleines qui meurent au loin et toutes les espèces, dont nous sommes. »

Matthieu Ricard cite Victor Hugo en exergue de son livre Plaidoyer pour l’altruisme : « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu. »

Espérons qu’une baleine, messagère de 17 tonnes, fera le poids.

Aimé ce poème animé et lu par l’anthropologue Jane Goodall, What happenned when we all stopped, sur l’importance de vivre en harmonie avec la nature et ce qui est arrivé depuis notre arrêt mondial sur pause. On peut même télécharger gratuitement le livre pour enfants.

Écouté le panel organisé par Espace pour la vie et le Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique. Vandana Shiva et Matthieu Ricard, ainsi que la chercheuse en psychologie sociale Anne-Sophie Gousse-Lessard et le psychologue de la conservation Stanley T. Asah, discutent des leviers d’activation du potentiel humain pour protéger la biodiversité et se rapprocher de la nature. Notre résistance est immense devant le changement. Bilingue et fort intéressant.

Entamé la lecture du Réseau secret de la nature de Peter Wohlleben, le garde-forestier allemand qui nous avait offert le best-seller La vie secrète des arbres. Ce livre démontre combien chaque espèce a une incidence sur l’ensemble des écosystèmes. Le loup influence les arbres le long des cours d’eau, les ours qui mangent des saumons sur le bord des rivières ont un impact sur les arbres et les nutriments qui se rendent vers l’océan et nourrissent à leur tour la faune marine. Absolument fascinant que ce « plaidoyer pour sauvegarder l’équilibre de la Terre. » editionsmultimondes.com


​JOBLOG

Un test d’urine avec ça?


J’ai le pipi troublé. Je fais partie des 40 personnes testées l’été dernier par Vigilance OGM pour détecter les traces de glyphosate dans l’urine chez l’humain lambda. 65 % des échantillons étaient contaminés à des degrés divers.

J’ai beau manger 75 % bio et être végé, je suis arrivée 20e sur 40 avec des traces de glyphosate (Roundup) dans le corps. J’ai expédié mon flacon de Gaspé, en voyage l’été dernier, donc loin de ma diète habituelle, mais n’empêche. Cela explique peut-être le 0,135 ug/L détecté, le même taux que le coordonnateur de Vigilance OGM. Un chiffre qui dépasse la limite acceptable dans l’eau en Europe (0,1 ug/L). Et, tenez-vous bien : cette limite est de 2100 fois supérieure au Québec, soit de 210 ug/L.

Je ne suis pas la seule avec le pipi en brouille. Des abeilles sont mortes par milliers en l’espace de dix jours en Montérégie, il y a deux semaines, un holocauste apicole. Plus de 40 % des espèces d’insectes sont en déclin dans le monde. Et jusqu’à preuve du contraire, nous faisons encore partie de ce grand tout.



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