L’ineffaçable trait d’union

Le quarantième anniversaire du référendum du 20 mai 1980 a permis à certains d’oublier un bref instant la pandémie qui afflige la planète. Aux yeux de plusieurs, le débat sur l’interminable question qui avait été posée aux Québécois peut sembler bien académique. Et pourtant…

Même si les promesses fallacieuses de Pierre Elliott Trudeau ont assurément contribué à la défaite du OUI, le trait d’union que le gouvernement Lévesque avait jugé nécessaire de placer entre « souveraineté » et « association » témoignait du sentiment général qui régnait à l’époque, c’est-à-dire que les Québécois n’étaient pas prêts à couper complètement le cordon ombilical qui les reliait au reste du Canada. Plusieurs avaient déjà eu l’impression d’avoir été bien audacieux en votant pour le PQ en 1976. Poser la question « dure » sur l’indépendance aurait très probablement abouti à un résultat inférieur à 40 %.

Il est vrai que le hasard, pourtant réputé pour bien faire les choses, a joué un vilain tour aux souverainistes. Si le gouvernement de Joe Clark ne s’était pas laissé renverser bêtement en décembre 1979, l’histoire aurait peut-être été différente. Il suffit d’imaginer la campagne du NON si Claude Ryan avait été seul aux commandes, appuyé de façon lointaine par un premier ministre canadien originaire de l’Alberta, auquel personne au Québec ne s’identifiait.

Quoi qu’il en soit, les suites que le gouvernement Trudeau a données à sa victoire, la « nuit des longs couteaux » de novembre 1981, puis le rapatriement de la Constitution sans l’accord du Québec, ont néanmoins provoqué un débat qui a déchiré le PQ pendant des années. De plus en plus, le trait d’union a été perçu comme un piège qui, en conditionnant la souveraineté à une association économique avec le Canada, accordait de facto à ce dernier un droit de veto sur l’avenir politique du Québec.


 

Au congrès de décembre 1981, qui s’est conclu sur une ovation du felquiste Jacques Rose, les militants furieux ont résolu d’éliminer l’association et de réhabiliter le principe de l’élection référendaire. Venu à un cheveu de la démission, René Lévesque avait organisé une consultation de tous les membres du PQ pour infirmer la décision du congrès, mais le mal était fait.

Sous la pression de ceux qu’on a commencé à appeler les « caribous », M. Lévesque s’est résigné à promettre qu’à l’élection suivante, un vote pour le PQ serait un vote pour la souveraineté, avant de se raviser. On connaît la suite : à l’automne 1984, sa décision de prendre le « beau risque » du fédéralisme renouvelé a entraîné le départ des Jacques Parizeau, Camille Laurin, Jacques Léonard, Denis Lazure et compagnie. Converti à l’« affirmation nationale », Pierre Marc Johnson a mené le parti à une cuisante défaite en décembre 1985.

Quand il est devenu chef, en 1988, M. Parizeau ne proposait même plus de référendum sur la souveraineté, avec ou sans trait d’union, mais plutôt sur le rapatriement de certains pouvoirs. C’est seulement après l’échec de l’accord du lac Meech et de l’entente de Charlottetown qu’il a commencé à évoquer sa question « claire » : « Voulez-vous que le Québec devienne un pays souverain en date de… ? » 


 

Il ne l’a cependant jamais posée. Sur l’insistance de Lucien Bouchard et de Mario Dumont, le trait d’union a été réintroduit, cette fois entre la souveraineté et un « partenariat » non seulement économique, mais également politique. La question de 1995 était peut-être plus courte que celle de 1980, mais encore plus compliquée, avec ses références à un avant-projet de loi et à une entente tripartite, qui prévoyait elle-même des institutions politiques communes.

Certes, il était prévu qu’à défaut d’une entente dans un délai d’un an, le Québec déclarerait unilatéralement son indépendance et il n’était plus question d’un deuxième référendum pour la faire ratifier par la population, mais l’idée d’une forme d’union avec le reste du Canada était clairement évoquée et demeurait présente dans l’esprit des électeurs.

Par la suite, la « loi sur la clarté » que le tandem Chrétien-Dion a fait adopter par la Chambre des communes et l’exemple du référendum tenu en Écosse en septembre 2014 ont semblé avoir définitivement effacé le trait d’union. L’esprit des résolutions adoptées lors du congrès extraordinaire du PQ tenu en novembre 2019 commande assurément le sens d’une question « dure » s’il doit y avoir un autre référendum, mais sa tenue demeure pour le moins hypothétique. Et selon tous les sondages tenus au cours des dernières années, le résultat du OUI serait inférieur aux 40 % de 1980.

Il est évidemment impossible de prévoir dans quelle conjoncture il aurait lieu. Certains se sont demandé si un Québec doté des pouvoirs et des moyens d’un État souverain aurait pu mieux réagir à la pandémie. Pour le moment, on peut cependant penser que cette expérience en confortera plusieurs dans l’impression que le lien avec le Canada a été plutôt bénéfique.

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