Déconfiner la démocratie
À l’époque où il était ministre de l’Éducation, François Legault s’était plaint de devoir se rendre quotidiennement à l’Assemblée nationale pour répondre aux questions de l’opposition, alors qu’il estimait avoir plus important à faire. On avait dû lui expliquer que la démocratie parlementaire avait des exigences différentes de celles du transport aérien.
Les longues années passées sur les banquettes de l’opposition lui ont sans doute permis d’apprécier les mérites du système, et il est devenu un redoutable parlementaire. Il n’en reste pas moins que sa nature d’entrepreneur, axée essentiellement sur les résultats, supporte difficilement toutes ces palabres.
Quand la crise de la COVID-19 a éclaté, il a semblé tout à fait normal que l’Assemblée nationale donne l’exemple et soit « mise sur pause » comme l’ensemble de la société québécoise. Malgré leur frustration d’être laissés sur la touche, les partis d’opposition le reconnaissaient aussi. Le gouvernement ne peut cependant pas être dispensé indéfiniment de l’obligation de rendre des comptes. Certes, les journalistes font leur travail, avec une application que certains semblent même leur reprocher, mais ils ne peuvent pas se substituer aux élus.
S’il est possible de relancer la construction domiciliaire de façon sécuritaire, il doit certainement y avoir moyen de faire siéger au moins une partie des députés. Au départ, M. Legault n’était visiblement pas pressé d’imaginer une formule qui permettrait aux partis d’opposition de remettre en question sa gestion de la crise. Il est toujours agréable d’avoir les coudées franches, mais il croyait sans doute sincèrement que la ministre de la Santé, Danielle McCann, avait mieux à faire, comme lui-même le pensait il y a vingt ans.
On s’est finalement entendu sur la tenue de commissions parlementaires virtuelles qui, entre le 24 avril et le 1er mai, permettront aux députés d’opposition d’adresser leurs questions à différents ministres. La formule a cependant ses limites. Plus tôt que tard, il faudra réellement « déconfiner la démocratie », comme l’a joliment dit Gabriel Nadeau-Dubois.
La légitimité du gouvernement est incontestable, et il a l’appui massif de la population depuis le début de la pandémie. Selon le plus récent sondage Léger-Québecor, 95 % des Québécois sont satisfaits de la façon dont il a géré la crise. Même si ce réflexe de ralliement est normal dans une situation aussi difficile, le phénomène n’a pas la même ampleur dans le reste du Canada. Il est vrai que le sondage a été effectué alors qu’on n’avait pas encore pris toute la mesure du drame qui se déroulait dans les CHSLD, mais une satisfaction aussi élevée ne disparaîtra pas du jour au lendemain.
Pour la première fois depuis un mois, M. Legault a toutefois donné cette semaine l’impression d’être dépassé par les événements. Comme tous les Québécois, il a visiblement été ébranlé par le sort réservé aux personnes âgées et les SOS qu’il a lancés de tous les côtés témoignaient de son sentiment d’impuissance. Devant l’ampleur du défi, lui-même aurait intérêt à ce que les modalités de la sortie de crise et plus encore celles de l’après-crise s’appuient sur le plus large consensus possible.
Malgré la grande popularité du premier ministre, il reste que près des deux tiers des Québécois ont voté pour un parti autre que la CAQ le 1er octobre 2018. L’ensemble des parlementaires devraient pouvoir discuter du « plan de réouverture » que M. Legault entend préciser « dans les prochains jours ». Tout le monde a hâte que l’économie reprenne et que les enfants retournent à l’école. La pression deviendra encore plus forte quand Donald Trump va donner le feu vert aux États-Unis, ce qui ne saurait tarder, mais trop de précipitation serait pire que la paralysie actuelle.
Soit, ce n’est pas le moment de faire le bilan de la pandémie et de distribuer les blâmes, ni de procéder à une nouvelle réforme des structures du réseau de la santé ou de mettre sur pied un régime d’assurance autonomie qui permettrait à plus de personnes âgées de rester chez elles, plutôt que d’être concentrées dans des établissements aussi propices à la contagion. Des correctifs doivent néanmoins être apportés sans attendre qu’une deuxième, voire une troisième, vague vienne en faire cruellement la preuve.
Le virus ne disparaîtra pas avant des mois. La démocratie ne peut pas rester « sur pause » pendant tout ce temps. Les partis d’opposition savent très bien que la population n’acceptera pas qu’ils tirent dans le dos du gouvernement, sous peine d’en payer le prix, mais les dérapages de la dernière semaine démontrent qu’il ne peut plus être laissé à lui-même.