Rendre des comptes

La satisfaction des Canadiens envers leurs gouvernements n’aura jamais été aussi élevée que durant cette pandémie que nous avons tous envie de vaincre ensemble. Mais si certains premiers ministres provinciaux, en commençant par François Legault, ont su gagner la confiance de leurs électeurs en se montrant résolus face à la menace que constitue la COVID-19, on ne peut pas dire la même chose de leur homologue fédéral, Justin Trudeau. Ce dernier semble encore traiter ses points de presse quotidiens comme des épreuves visant à déjouer les questions des journalistes. Il livre ses platitudes habituelles ; il ne fait pas de vagues. Mais il ne rend pas service aux Canadiens en évitant de dire les choses qui doivent être dites.

Si la satisfaction envers le gouvernement fédéral demeure si élevée — à 76 %, selon un sondage Léger publié cette semaine —, c’est surtout grâce à la panoplie des mesures qu’Ottawa a mises en place pour venir en aide aux individus et aux entreprises dont les revenus ont disparu en raison de la fermeture forcée de grands pans de l’économie canadienne. Jamais n’aura-t-on vu autant d’argent sortir des coffres fédéraux en si peu de temps. Même si certaines catégories de travailleurs ou d’entreprises se plaignent d’avoir été oubliées par les fonctionnaires qui ont conçu ces programmes, personne ne peut accuser la haute fonction publique fédérale d’avoir manqué d’imagination.

M. Trudeau, en revanche, est demeuré fidèle à lui-même depuis le début de cette crise, ne sortant jamais de sa zone de confort. Il a été peu accessible, préférant rester chez lui, à l’abri des questions de l’opposition à la Chambre des communes — ce qui ne l’a toutefois pas empêché de passer la fin de semaine de Pâques à Harrington Lake dans le parc de la Gatineau, contrevenant ainsi aux consignes édictées par les autorités de la Santé publique, qui demandent aux Canadiens de ne pas visiter leurs chalets en région.

Quand le président américain, Donald Trump, a suspendu cette semaine la contribution financière des États-Unis à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en pleine pandémie, le premier ministre fédéral a surtout cherché à ne pas froisser son homologue américain. Certes, sa ministre du Développement international, Karina Gould, s’est dite « déçue » du geste de M. Trump. Mais beaucoup de Canadiens auraient préféré que ce mot sorte de la bouche du premier ministre. L’OMS n’est pas au-dessus des critiques, loin de là. Et sa gestion de cette pandémie mérite d’être scrutée par ses pays membres. La lenteur et le manque de transparence avec lesquels elle semble avoir réagi à l’émergence de la COVID-19 en Chine ne seraient pas étrangers au contrôle qu’exerce ce pays au sein de cette agence onusienne. Mais la menace de M. Trump de priver l’OMS de 400 millions de dollars américains relève d’une mesquinerie totale, alors que le coronavirus commence à faire ses ravages dans les pays les plus pauvres du monde. M. Trudeau se devait de le rappeler.

En attaquant maintenant l’OMS, après avoir loué sa performance il y a à peine quelques semaines, M. Trump cherche manifestement à détourner l’attention de sa propre gestion de cette pandémie. C’est une stratégie politique qui risque de porter ses fruits en cette année électorale américaine, alors que les théories du complot sur l’origine du coronavirus circulent abondamment sur les réseaux sociaux et dans certains médias américains.

Il faut toutefois pouvoir séparer le vrai du faux dans de telles situations, et les Canadiens ont droit à la franchise de la part de leur premier ministre en cette matière. La réticence avec laquelle M. Trudeau aborde la question de la responsabilité de la Chine dans cette pandémie est pour le moins curieuse. Le régime communiste à Pékin mène une campagne mondiale de propagande pour vanter l’efficacité avec laquelle il a maîtrisé le virus, alors qu’il avait mis la planète entière en danger en cachant la vérité sur l’ampleur et la gravité de la maladie qui s’est manifestée pour la première fois dans la ville de Wuhan en novembre dernier. « Il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas », a précisé le président français, Emmanuel Macron, dans une entrevue jeudi avec le Financial Times de Londres. M. Macron a aussi ajouté qu’il est « faux de dire que les démocraties gèrent moins bien la crise, car la transparence, la circulation libre de l’information sont au contraire un atout considérable pour être efficaces ».

Le silence de M. Trudeau sur ce même sujet demeure un mystère. Serait-ce parce qu’il ne veut pas compromettre les négociations avec la Chine en vue d’obtenir la libération des Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig, emprisonnés là-bas dans la foulée de l’arrestation à Vancouver de la cheffe financière de l’entreprise Huawei, Meng Wanzhou, en décembre 2018 ? Serait-ce parce qu’il est toujours sous l’influence de certains conseillers qui entretiennent d’étroites relations avec des membres du régime chinois ? Serait-ce parce qu’il ne veut pas donner de munitions à l’opposition conservatrice, qui critique la décision de son gouvernement d’avoir envoyé 16 tonnes de matériel de protection en Chine en février, alors que la pandémie commençait déjà à frapper à nos portes ?

Peu importe la raison, le silence de M. Trudeau est inacceptable. Si nous voulons éviter une répétition de ce triste épisode de notre histoire, il va falloir que nos chefs actuels mettent leurs culottes et demandent des comptes aux responsables.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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