Un moment charnière

On n’a jamais su exactement quelle était cette « transformation » que Philippe Couillard promettait si les électeurs lui confiaient un deuxième mandat. La difficulté qu’il éprouvait lui-même à l’expliquer donnait plutôt l’impression qu’il s’agissait d’un ballon pré-électoral. Cette fois-ci, on peut penser que le Québec sera réellement transformé par la crise du coronavirus, mais en quoi consisteront ces changements ?

La composition du comité ministériel auquel le premier ministre Legault a confié la planification de l’après-crise ne laisse aucun doute sur le fait que la priorité sera accordée à la relance de l’économie, qui est un préalable à tout le reste. C’est sans grande surprise qu’on y retrouve le ministre des Finances, Eric Girard, celui de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, le président du Conseil du Trésor, Christian Dubé, ainsi que le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, qui s’occupera en quelque sorte de l’aspect humain de l’affaire.

En toute justice, il faut reconnaître que depuis l’élection du 1er octobre 2018, le gouvernement Legault ne s’est pas comporté comme ce dinosaure anti-étatique que beaucoup appréhendaient. Il est vrai que la bonne santé financière héritée des libéraux et la remarquable performance de l’économie québécoise rendaient injustifiable tout excès de conservatisme fiscal, mais le dernier budget Girard avait des airs de social-démocratie que bien peu attendaient de la CAQ, même si le ministre des Finances préfère se qualifier de pragmatique.

Tout le monde reconnaît que l’abondance d’il y a à peine un mois ne reviendra pas d’ici un bon moment. Maintenant qu’il est libéré de l’obligation de générosité que lui imposait sa marge de manœuvre, la question de savoir dans quelle mesure le gouvernement fera tout en son pouvoir pour préserver l’État-providence ou s’il prendra prétexte des circonstances pour céder à l’inclination naturelle pour la droite qu’on lui prêtait.


 
 

M. Legault a expliqué mardi que la « démondialisation » consécutive à la crise, qui favorisera une plus grande autarcie, forcera de nombreuses entreprises qui dépendent largement de l’exportation à revoir leur modèle d’affaires et qu’il faudra les y aider.

Dans un tel contexte, la nécessité de renforcer la consommation intérieure incitera le gouvernement à faire ce qu’a toujours affectionné la CAQ, c’est-à-dire « retourner de l’argent dans les poches des familles » en allégeant leur fardeau fiscal.

Conséquemment, l’État ne pourra pas consacrer autant de ressources aux services publics. Il ne faudra donc pas s’attendre aux mêmes réinvestissements en santé et en éducation, après la bouffée d’air frais des deux dernières années. Certes, la crise actuelle entraînera une réorganisation du travail dans le réseau de la santé, où la téléconsultation prendra sans doute une plus grande place, mais les besoins ne diminueront pas pour autant. La population continuera à vieillir, avec l’augmentation des coûts que cela implique.

Qu’adviendra-t-il du plan de lutte contre les changements climatiques que le ministre de l’Environnement, Benoit Charrette, était sur le point de présenter quand la crise a éclaté ? On peut penser que d’importantes modifications y seront apportées. L’électrification de l’économie peut être un important moteur de relance, mais le gouvernement ne voudra sans doute pas compromettre la reprise en imposant des mesures de réduction des GES trop sévères.


 
 

Il serait un peu plus rassurant que M. Legault inclue M. Charrette dans son comité de relance, de même que sa collègue de la Santé, Danielle McCann, comme le demande le député péquiste de Jonquière, Sylvain Gaudreault, qui voudrait également que le Québec se dote d’une sorte de « plan Marshall du XXIe » largement axé sur les infrastructures vertes, notamment le transport en commun, en écartant les projets dont l’empreinte carbone serait trop forte, dont bien évidemment le « troisième lien ».

Même si les travaux de l’Assemblée nationale sont suspendus, Gabriel Nadeau-Dubois a raison de réclamer un véritable débat démocratique sur les mesures d’après-crise. Il s’agira là d’un moment charnière qui déterminera l’orientation de la société québécoise pour de nombreuses années. Le gouvernement Legault a pratiquement carte blanche pour combattre la pandémie, mais l’avenir du Québec ne lui appartient pas.

Il ne faut quand même pas trop en demander. Le PLQ propose à M. Legault d’inclure l’ancien ministre des Finances, Carlos Leitão, dans son comité. La compétence de M. Leitão ne fait aucun doute, mais les décisions qui seront prises par le gouvernement auront inévitablement d’importantes conséquences politiques. Il serait pour le moins étonnant que le premier ministre souhaite en partager l’évaluation avec l’opposition officielle.

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