Une précipitation indécente

Le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, avait promis d’être « créatif » dans les négociations pour le renouvellement des conventions collectives dans le secteur public, mais cela ne signifie pas qu’il doive jouer à l’apprenti sorcier.

On a déjà eu un aperçu de ses « solutions porteuses » en début d’année, quand il a annoncé la création d’une série de forums de discussion afin de discuter des « priorités des Québécois », mais les syndicats y ont plutôt vu une tactique pour leur forcer la main, en opposant leurs intérêts corporatistes au bien-être de la population, dont la capacité de payer a des limites.

Dans le premier de ses points de presse quotidiens, le premier ministre Legault avait laissé entendre que les négociations pourraient être suspendues durant la pandémie pour éviter de troubler le climat de travail dans les hôpitaux et, de façon plus générale, partout où les employés de l’État s’efforcent d’enrayer la contagion ou de porter secours à ceux qui sont atteints par le virus.

Pour des raisons difficiles à comprendre, si ce n’est d’en tirer un avantage politique, le gouvernement a plutôt décidé de lancer un blitz de négociations dans le but d’en arriver à un règlement dans un temps record. On peut comprendre qu’il ne souhaite pas que la prochaine campagne électorale soit perturbée par une mobilisation syndicale, mais ce n’est surtout pas le moment de donner un motif d’insatisfaction supplémentaire à nos « anges gardien(ne)s », de qui on exige présentement beaucoup.

Si M. Dubé se sent désœuvré en cette période où toute l’action du gouvernement est centrée sur la lutte contre le virus, M. Legault peut sûrement lui confier un autre mandat où il pourra exercer sa grande créativité. Le président du Conseil du trésor a un faible pour la planification, et il n’est sûrement pas trop tôt pour préparer l’après-pandémie.


 

Au moment même où M. Legault prétend mettre tout le Québec « sur pause », cette précipitation a quelque chose de choquant. Inclure dans les négociations des mesures à prendre pour protéger la santé de ceux qui s’emploient présentement à combattre le virus est même indécent.

« Ces mesures doivent être prises en cohérence avec les consignes de la santé publique, et non dépendre d’un processus de négociation où la partie patronale cherche à tout prix à minimiser les coûts pour le gouvernement », a fait valoir la présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, Andrée Poirier.

Les enjeux sont sans doute différents dans le secteur de l’éducation, mais ils n’en sont pas moins beaucoup trop complexes pour qu’on bâcle la négociation en quelques jours. S’il est vrai que la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) est souvent prompte à monter aux barricades, on peut difficilement la blâmer de soupçonner le gouvernement de vouloir profiter de la situation pour tenter un « coup de force ».


 

Les Québécois appuient massivement le gouvernement dans sa lutte contre la crise, mais ils sont parfaitement capables de faire la part des choses et n’aimeraient pas que le gouvernement ne joue pas franc jeu. Même ceux qui ont un préjugé contre les syndicats, particulièrement ceux du secteur public, voient très bien que les travailleurs de la santé et de nombreux autres, dont la contribution peut être moins visible mais bien réelle, ne ménagent aucun effort pour combattre les effets de la COVID-19.

Il ne fait aucun doute que les préposés aux bénéficiaires ne sont pas suffisamment rémunérés. Il n’est certainement pas acceptable qu’ils reçoivent moins que s’ils restaient chez eux à attendre les 2000 $ par mois qui seront versés aux travailleurs privés de leur emploi, mais M. Legault fait preuve d’une démagogie navrante en faisant presque de cette question l’enjeu principal de la négociation dans ses points de presse.

Le premier ministre assure qu’il n’imposera pas un règlement de force. Cela est bien le moindre, mais c’est comme s’il reprochait aux syndicats de ne pas se laisser bousculer par les événements. Les prochaines conventions collectives continueront de s’appliquer alors que la crise sera passée depuis longtemps. Comment leur reprocher de penser à l’avenir quand M. Legault a lui-même son échéance électorale à l’esprit ? Pour le moment, les uns et les autres devraient plutôt se concentrer sur le présent.

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