L’hécatombe

De jour en jour, l’hécatombe qui s’annonce promet de prendre des dimensions que nous aurions crues impossibles il y a quelques semaines à peine. L’effondrement de l’économie canadienne s’accélère à un rythme tel que les gouvernements sont obligés de revoir en temps réel les mesures qu’ils avaient annoncées la veille pour faire face à une crise qui ne ressemblera à rien de ce que nous avons connu. Bien sûr, la bataille menée pour ralentir la propagation du coronavirus honore tous ceux qui y participent. Mais sachons que les conséquences économiques de cette guerre seront dévastatrices.

Vendredi, la Banque du Canada s’est même résignée à recourir à l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) pour la première fois de son histoire afin de calmer les marchés financiers. La banque centrale s’engage ainsi à acheter des obligations du gouvernement canadien sur le marché secondaire pour une somme de 5 milliards de dollars par semaine, preuve que les investisseurs commencent déjà à s’inquiéter de l’accumulation de la dette fédérale qui résultera de cette crise.

Encore vendredi, le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, a publié son analyse des répercussions des chocs dus à la pandémie de la COVID-19 et à la chute du prix du pétrole, principal produit d’exportation du Canada. Nous nageons dans une si grande incertitude que le DPB a dû préciser que son analyse « ne constitue pas une prévision. Il ne montre qu’une des issues possibles à la situation ». Mais cette analyse offre néanmoins une idée de ce qui nous attend dans les prochains mois. Selon le DPB, le produit intérieur brut devrait diminuer de 25 % (sur une base annuelle) au cours du deuxième trimestre. L’économie canadienne se rétrécirait de plus de 5 % en 2020, soit sa plus grande contraction économique depuis 1962.

Pour tous ceux qui pensent que l’économie canadienne rebondira d’un coup dès que les consignes sur la distanciation sociale seront levées, le scénario évoqué par le directeur parlementaire du budget devrait être reçu comme une douche froide. Des milliers de gens mis à pied de façon soi-disant temporaire durant cette crise ne retrouveront pas le même emploi. La structure même de l’économie canadienne risque d’être à jamais transformée. Plusieurs salles de cinéma, déjà éprouvées ces dernières années, ne rouvriront pas. Des magasins aussi. Des entreprises qui étaient déjà en difficulté, comme Bombardier, pourraient ne pas survivre. Le Cirque du Soleil, qui serait au bord de la faillite, ayant accumulé une dette colossale depuis sa vente en 2016, pourrait lui aussi devenir une victime de cette crise.

La double catastrophe qui frappe l’Alberta — où les répercussions économiques découlant des mesures prises contre la propagation de la COVID-19 sont jumelées à un prix du pétrole en chute libre — serait perçue par certains comme une chose salutaire qui aidera la transition écologique. L’aide à l’Alberta dépassera de loin ce que les autres provinces recevront, toutes proportions gardées. Ce sont tous les Canadiens qui en assumeront la facture.

Ce n’est pas que l’économie canadienne qui risque d’être transformée par la crise actuelle. Le paysage politique sera affecté lui aussi. Si une forte majorité de Canadiens semble satisfaite de la réponse à la crise donnée par premier ministre Justin Trudeau, l’efficacité avec laquelle son gouvernement réussit à mettre en place les programmes d’aide déterminera si M. Trudeau maintiendra encore la cote dans quelques semaines. Ce ne sera pas chose facile. La complexité des mesures déjà annoncées, et le nombre invraisemblable de Canadiens qui voudront s’en prévaloir, fait en sorte que de mauvaises surprises seront inévitables. Ottawa prévoit qu’au moins quatre millions de Canadiens demanderont de l’aide offerte dès le 6 avril dans le cadre de la nouvelle Prestation canadienne d’urgence, qui fournira des chèques de 2000 $ par mois pendant quatre mois aux gens affectés par la crise mais qui sont inadmissibles à l’assurance emploi. Un tel achalandage risque d’accabler l’appareil gouvernemental.

Il faut tout de même saluer les efforts faits par le ministre des Finances Bill Morneau et son personnel. Ils ont répondu à l’appel en doublant cette semaine le montant de l’aide directe qui sera offerte aux particuliers et aux entreprises, à 52 milliards de dollars. La facture montera encore après la promesse d’Ottawa vendredi de verser les subventions jusqu’à concurrence de 75 % des salaires des employés travaillant dans des petites et moyennes entreprises. « S’il vous plaît, gardez vos travailleurs sur votre feuille de paie », a plaidé M. Trudeau. Il souhaite ainsi éviter que le taux de chômage ne monte à un niveau semblable à celui des années 1930. Espérons que son vœu, qui est aussi le nôtre, sera exaucé. La route sera longue.

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