Comeau «pro domo»

Je n’arrive pas à imaginer l’historien Robert Comeau en terroriste. L’homme est un militant indépendantiste inébranlable, certes, mais il se caractérise aussi par son affabilité et par sa gentillesse. Pourtant, en octobre 1970, Comeau, 25 ans, faisait partie de la cellule Viger du FLQ et, malgré ses questionnements quant à la légitimité de la violence, il était aux côtés, comme complice, des poseurs de bombes et des preneurs d’otages. « Comme beaucoup de jeunes de mon âge, écrit-il dans Mon Octobre 70 (VLB, 2020, 240 pages), je me suis laissé séduire, en mai 1970, par le romantisme révolutionnaire de l’aventure felquiste, expression locale d’un mouvement qui se déployait à travers le monde. Je voulais, comme mes camarades, répondre à la violence du système “par une contre-violence”. »

Aujourd’hui, Comeau condamne les actes terroristes du FLQ — inefficaces et meurtriers, dit-il —, mais il ne renie pas les « objectifs au nom desquels ils ont été posés », c’est-à-dire l’indépendance nationale et une société juste. Et s’il raconte pour la première fois, en détail, 50 ans après les faits, sa participation à la crise, c’est parce qu’il en a marre de lire et d’entendre des mensonges et des conjectures au sujet de son rôle dans cette affaire.

Dans Fabrications, son captivant « essai sur la fiction et l’histoire » récemment réédité dans la collection « Boréal compact », le romancier Louis Hamelin n’est pas tendre envers Comeau, qu’il qualifie injustement de « prétendu historien » et de personnage « charmant et mielleux » dont les souvenirs seraient « chambranlants ». Comment expliquer, demande l’écrivain, que Comeau, pris en flagrant délit par la police qui le surveillait à l’époque, n’ait pas été arrêté pendant et même après la crise ?

La thèse d’Hamelin, passionnante, fondée sur une enquête minutieuse enrichie par des hypothèses fictionnelles et d’abord présentée dans son roman La constellation du Lynx (Boréal, 2010), postule que les autorités canadiennes étaient au courant des plans d’un FLQ qu’elles avaient infiltré et qu’elles les ont laissés se réaliser pour discréditer le mouvement lui-même ainsi que, par association, le projet indépendantiste.

Hamelin avoue avoir renoncé à « obtenir une explication globale des événements », mais, en rapaillant une somme d’informations, il conclut néanmoins à la thèse de « l’instrumentalisation de la violence terroriste à des fins de consolidation du pouvoir » par les autorités fédérales. Il affirme même qu’« on n’a pas envoyé l’armée parce que deux personnes ont été kidnappées, on a permis que deux personnes soient kidnappées pour pouvoir envoyer l’armée ».

Depuis la parution du livre d’Hamelin en 2014, Comeau ne décolère pas. Cette réaction est en partie compréhensible. Les insinuations de l’écrivain quant au rôle ambigu de l’historien dans la crise sont insupportables pour ce dernier et apparaissent, en effet, sans fondement. Comeau, évidemment, dément toute connivence avec la police, et son récit, à cet égard, s’avère convaincant.

Pour le reste, cependant, et à l’exception de quelques détails — contrairement à ce que dit Hamelin, Comeau n’était pas un proche des ravisseurs —, les thèses du romancier et de l’historien, sur le fond des choses, ont bien des choses en commun. Critique de l’enquête littéraire d’Hamelin qui serait, selon lui, à proscrire d’un point de vue scientifique, Comeau a beau prétendre « établir les faits tels qu’ils se sont produits », le résultat de sa démarche, pas plus scientifique que celui obtenu par Hamelin, ne s’éloigne pas tant que ça des thèses de ce dernier.

Comeau, en effet, reconnaît « l’évidence de l’infiltration du FLQ par les corps policiers » et raconte en avoir lui-même fait naïvement les frais, par les trahisons des indics Carole Devault et François Séguin. Il qualifie d’insoutenable la « théorie du complot », soutenue par les Vallières, Ferron et Hamelin, selon laquelle « le FLQ aurait été de part en part une création policière » parce qu’il tient à préserver l’idée d’une « action autonome » des felquistes. Toutefois, comme les auteurs qu’il critique, il est forcé de reconnaître que, si les autorités n’ont pas créé et contrôlé la crise, elles l’ont exploitée à des fins de répression. La querelle d’interprétation débouche donc sur des conclusions semblables.

Le témoignage de Comeau, rédigé en collaboration avec l’économiste Louis Gill, est empreint d’une émouvante sincérité. L’homme, on le sent, a gardé des blessures de cette dérive terroriste, mais, faisant partie des « derniers acteurs et témoins toujours vivants de cet épisode tumultueux de notre histoire », il tient à redire que les idéaux de libération nationale et d’émancipation sociale qui l’animaient à 25 ans n’ont rien perdu de leur pertinence et sont encore ceux du vieux militant pacifique qu’il est devenu.

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