Le chef de famille
En matière de gestion de crise, la façon dont Lucien Bouchard a agi durant la crise du verglas de l’hiver 1998 est devenue le modèle par excellence au Québec.
François Legault ne s’était pas encore lancé en politique à l’époque. Comme un grand nombre de Québécois, il ne peut cependant pas avoir oublié les conférences de presse télévisées que son futur mentor tenait quotidiennement, flanqué du p.-d.g. d’Hydro-Québec, André Caillé, vêtu de son mythique chandail à col roulé, qui donnaient à la population la rassurante impression que le capitaine tenait fermement la barre pour traverser la tempête.
Vingt ans plus tard, M. Bouchard a confié dans une entrevue à Radio-Canada que, du début à la fin de la crise, son gouvernement avait constamment improvisé. « On n’avait pas prévu qu’une chose comme celle-là arriverait. Il n’y avait pas de plan de sécurité qui avait été dressé. C’était une hypothèse absolument invraisemblable. On a dû tout imaginer, tout improviser. On a travaillé à l’instinct. » Pourtant, à aucun moment il n’avait paru dépassé par les événements.
Il a dit s’être alors senti dans l’obligation d’agir comme un « chef de famille ». Très rapidement, il a réalisé l’importance de tenir la population informée. « On racontait aux Québécois ce qu’on avait fait dans la journée. » Il ne leur disait cependant pas tout. Lors du « vendredi noir », quand les pylônes d’Hydro-Québec se sont effondrés en série, il a jugé préférable de leur cacher que Montréal était passée à un cheveu de la catastrophe.
« Il restait un fil. Il était battu par des vents violents. Il exerçait sur les tours d’un côté et de l’autre du fleuve des pressions telles qu’il menaçait de tomber. Si ça tombait, il n’y avait plus rien. Il n’y avait plus d’eau, il n’y avait plus rien à Montréal. Ça, on ne l’a pas dit le soir même », a-t-il raconté.
Le modèle Bouchard a cependant ses limites. Si éprouvante qu’elle ait pu être pour les sinistrés, la crise du verglas n’était pas aussi angoissante que l’est devenue celle de la COVID-19, qui occupe maintenant tous les esprits, sans parler de ses conséquences économiques et financières. Ceux dont la résidence était temporairement inhabitable avaient pu trouver refuge chez des parents ou des amis, ou encore dans des établissements publics transformés en centres d’accueil temporaires. Il suffisait de prendre son mal en patience, en attendant que le courant électrique soit rétabli.
Lors des inondations printanières, M. Legault a démontré qu’il pouvait se comporter en « chef de famille », mais il s’agissait encore une fois d’autre chose. Malgré le drame vécu par ceux qui ont vu leur maison endommagée, voire complètement détruite, les inondations — comme le verglas — étaient géographiquement circonscrites et la crue des eaux ne pouvait être que temporaire, alors que nul ne peut prédire quelles seront l’ampleur et la durée de la crise actuelle.
Dans ses derniers points de presse, le premier ministre a trouvé le ton juste pour rassurer la population et il s’est trouvé un bon complice dans la personne du directeur national de la santé publique, Horacio Arruda. Il n’a cependant aucun moyen de savoir si les mesures mises en œuvre seront suffisantes et lui non plus ne dit peut-être pas tout.
En 1998, M. Bouchard avait bien caché à quel point il avait dû improviser. Cette fois-ci, tout le monde sait que M. Legault n’a d’autre choix que de naviguer à vue. Vendredi, il s’est dit fier de la réaction des Québécois. À voir les esprits s’échauffer dans les magasins, on peut craindre qu’il devienne cependant aussi difficile de combattre la panique que le virus lui-même.
Contrairement à la Chambre des communes, l’Assemblée nationale continuera à siéger jusqu’à nouvel ordre. Ce n’est sans doute qu’une question de temps avant que le ministre des Finances, Eric Girard, revoie les dispositions du budget qu’il a présenté en début de semaine. On peut d’ailleurs se demander pourquoi il n’a pas choisi de le retarder, comme l’a fait son vis-à-vis fédéral, sinon parce qu’il ne pouvait pas résister à l’envie de montrer combien l’économie et les finances publiques québécoises se portent bien sous sa gouverne.
M. Legault a également indiqué qu’il songeait à faire une pause dans les négociations pour le renouvellement des conventions collectives dans le secteur public, dont le déroulement pourrait indisposer les employés de l’État, notamment ceux du réseau de la santé, à qui on demandera beaucoup au cours des prochaines semaines.
On peut se demander si le PLQ et le PQ ne devraient pas revoir leur calendrier eux aussi. Si les rassemblements de plus de 250 personnes sont interdits, ils ne pourront pas tenir les débats entre les candidats à la chefferie, ni les congrès qui doivent couronner les vainqueurs. De toute manière, ils auraient peut-être intérêt à retarder tout cela. En période de crise, qui s’intéresse à ce qui se passe dans les partis d’opposition ?