La gouvernance au temps du coronavirus

Comparativement à un Emmanuel Macron, qui semble être né pour habiter le rôle d’un président français, ou à un Giuseppe Conte, qui semble avoir enfin délaissé son statut de potiche comme président italien, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, faisait piètre figure vendredi lorsqu’il a prétendu être pleinement aux commandes de son gouvernement, et ce, malgré le fait qu’il s’est placé en quarantaine volontaire après que sa femme eut contracté la COVID-19. MM. Macron et Conte, dans leurs adresses respectives à la nation ces derniers jours, ont su transmettre leurs messages sur un ton résolu et déterminé. Vendredi, M. Trudeau semblait presque insouciant en comparaison.

Or, pendant que M. Trudeau répondait allègrement aux questions des journalistes rassemblés à l’extérieur de Rideau Cottage, la résidence temporaire du chef du gouvernement, un vent de panique déferlait sur la capitale fédérale. La crise entourant ce que l’Organisation mondiale de la santé définit maintenant comme étant une pandémie mondiale est entrée vendredi dans une toute nouvelle phase. L’heure est grave. Le Parlement fédéral a suspendu ses travaux pour cinq semaines, la Banque du Canada a baissé son taux directeur d’un demi-point de pourcentage, à peine une semaine après avoir effectué une baisse de cette même ampleur, et le ministre des Finances Bill Morneau et le surintendant des institutions financières Jeremy Rudin se sont précipités devant les caméras pour annoncer une batterie de mesures visant à venir en aide aux petites et moyennes entreprises. Ces dernières seront les premières à subir les répercussions économiques des fermetures forcées d’écoles et d’autres lieux publics alors que les autorités sanitaires essaient de limiter la propagation du coronavirus et l’engorgement du système de santé qui en découle.

On ne peut pas imputer à M. Trudeau la responsabilité de s’être retrouvé dans la situation qui l’empêche d’exercer pleinement ses fonctions actuellement. Personne n’est à l’abri d’un virus qui, selon la ministre de la Santé Patty Hajdu, infecterait éventuellement une majorité de Canadiens. Mais pour un premier ministre qui avait déjà laissé l’impression d’être moins entiché de son travail depuis l’élection fédérale d’octobre dernier, son absence physique de la ligne de front au cours des deux prochaines semaines ne fera rien pour prouver aux Canadiens dubitatifs qu’il est encore l’homme de la situation.

Déjà, M. Trudeau a délégué une bonne partie des responsabilités dont il s’occupait avant les élections à sa vice-première ministre Chrystia Freeland, qui voyage d’un bout à l’autre du pays depuis des semaines en essayant de rebâtir les ponts avec les chefs provinciaux, ponts qui avaient été passablement amochés durant la dernière année du premier mandat du gouvernement Trudeau. C’est Mme Freeland qui aurait fait pencher la balance au sein du Conseil des ministres en faveur d’une approbation de l’immense projet Frontier dans les sables bitumineux, si son promoteur Teck Resources n’avait pas retiré sa demande de permis le moins dernier. La chute du prix du pétrole des derniers jours aura remis aux calendes grecques la possibilité de nouveaux investissements dans l’industrie pétrolière albertaine. Mais cette même chute du cours de l’or noir replongera aussi l’Alberta dans une récession qui risque d’être encore plus profonde que celle déclenchée en 2014 et dont la province peinait encore à se relever.

C’est ainsi que la crise provoquée par la propagation du coronavirus forcera le gouvernement fédéral à venir vite en aide à l’Alberta avant toute autre province. Le premier ministre albertain, Jason Kenney, n’a pas perdu une seconde cette semaine en exigeant qu’Ottawa délie les cordons de la bourse pour annoncer un programme national de relance économique à la hauteur d’un point de pourcentage du produit intérieur brut canadien, soit autour de 23 milliards de dollars. Vendredi, M. Morneau a promis que des mesures « importantes » en ce sens seront annoncées la semaine prochaine. En combinaison avec les baisses des taux d’intérêt déjà annoncées par la banque centrale, les mesures fiscales exceptionnelles viseront à minimiser les conséquences d’un ralentissement économique qui semble maintenant inévitable. Le déficit fédéral risque de doubler, sinon tripler, avant que l’exercice soit terminé. Mais c’est le prix à payer afin d’éviter que la grogne politique envers le gouvernement Trudeau dans l’Ouest canadien ne monte davantage.

Les prochaines semaines constitueront une épreuve pour le monde entier. La pire pandémie depuis un siècle est loin d’avoir atteint son sommet. Et les conséquences économiques pourraient être dévastatrices pour des milliers, sinon des millions de Canadiens. M. Trudeau peut encore nous montrer qu’il est à la hauteur de ses fonctions. Mais le temps presse.

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