Les gros mots

Il fut un temps où même les ministres des Finances libéraux dénonçaient le fédéralisme « prédateur » (Gérard Lévesque) ou même « vampirique » (Yves Séguin). L’époque des gros mots est cependant révolue. Dans son discours sur le budget de mardi, Eric Girard n’a pas formulé la moindre plainte à l’endroit d’Ottawa. La baisse des transferts fédéraux est devenue une bonne nouvelle.

Toutes formes confondues, ils n’augmenteront que de 2,4 % en 2020-2021, par rapport à 8,6 % en 2019-2020. En 2021-2022, la hausse sera encore moindre (2,3 %). En raison de la bonne performance de l’économie québécoise, la péréquation, objet de lamentations incessantes depuis des décennies, augmentera de seulement 1 % et 2 % au cours des mêmes années. Dans les deux cas, l’augmentation sera inférieure à celle des revenus autonomes.

Cela n’empêchera évidemment pas Jason Kenney de continuer à présenter le Québec comme une sorte de parasite, qui a l’impudence de qualifier le pétrole albertain d’« énergie sale » et de s’opposer au passage d’un pipeline sur son territoire en feignant d’oublier que son insolente santé financière est due en bonne partie aux revenus qu’Ottawa tire de sa province, mais il faut bien que M. Kenney trouve un exutoire à la colère de ses électeurs. Bien entendu, lui-même fait abstraction des sommes colossales que le gouvernement fédéral a investies et continue d’investir dans l’industrie pétrolière.

Même si le Québec est la province bénéficiaire de la péréquation qui en touche le moins par habitant (1594$), les 13 milliards auxquels il aura droit cette année constituent une somme considérable, qui représente plus de 10 % de l’ensemble de ses revenus, mais cela va bientôt changer.
 

Le questionnaire que le ministère des Finances a mis en ligne dans le cadre de ses consultations prébudgétaires présentait les divers choix qui s’offriront au gouvernement quand le Fonds des générations aura atteint ses objectifs de réduction de la dette, en 2023-2024, soit six ans avant la date prévue au départ, ce qui libérera chaque année une somme additionnelle de 3 milliards.

Les suggestions étaient les suivantes : 1) continuer de réduire la dette ; 2) financer des initiatives en environnement ; 3) alléger le fardeau fiscal des Québécois ; 4) assurer un financement stable des principales missions de l’État, comme la santé et l’éducation ; 5) faire face aux coûts associés au vieillissement de la population ; 6) financer des investissements dans des infrastructures publiques ; 7) augmenter l’autonomie financière du Québec dans la fédération.

Interrogé mardi, M. Girard a déclaré qu’il ferait connaître sa préférence « en temps et lieu », mais que « continuer à réduire la dette fera partie de la réponse ». Il a cependant une bonne idée de ce que pourrait être le reste de la réponse. En réalité, « augmenter l’autonomie financière du Québec dans la fédération » est simplement une façon de dire qu’une partie significative des 3 milliards devra servir à compenser la baisse de la péréquation au cours des prochaines années.
 

Le Québec touche actuellement 66,2 % des sommes versées aux provinces bénéficiaires. En raison de la bonne performance de son économie par rapport au reste du Canada, on prévoit que cette proportion baissera à 56,5 % en 2024-2025. Cela est assurément une bonne nouvelle, dans la mesure où François Legault a toujours dit que son objectif était d’accroître le potentiel économique du Québec au point de l’affranchir de la péréquation.

En principe, les revenus additionnels que générera une économie plus dynamique devraient compenser la baisse de la péréquation. À la condition que la façon de la calculer ne pénalise pas le Québec davantage. Il est cependant loin d’être certain que Justin Trudeau, ou son éventuel successeur, pourra résister aux pressions de ceux qui réclament sa révision.

Une augmentation correspondante du Transfert canadien en santé (TCS) pourrait être une solution. Depuis des années, les provinces demandent à Ottawa de financer les dépenses de santé des provinces à hauteur de 25 %, comme c’était le cas à la fin des années 1970. Pour le Québec, cela signifierait des revenus additionnels qui passeraient de 557 millions en 2020-2021 à 3 milliards en 2026-2027. Dans l’état actuel des finances publiques fédérales, une telle générosité paraît toutefois bien improbable.

À l’époque où il rédigeait son rapport intitulé « Les finances publiques d’un Québec souverain » (2004), M. Legault était d’avis que l’indépendance était la meilleure façon de régler le problème. Maintenant qu’il a découvert les vertus du fédéralisme, le premier ministre devra plutôt s’en tenir aux gros mots qu’utilisaient jadis les libéraux. De toute manière, les Québécois s’en sont toujours contentés.

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