Les vieilles idées

Après sa déconfiture électorale en 1976, Robert Bourassa veillait à se faire oublier pour espérer redevenir premier ministre un jour. Alors que, contre toute attente, il parvenait à revenir aux affaires, celles de l’ancien cycliste Louis Garneau débutaient à peine. Recyclé en champion du tissu extensible, l’ancien athlète olympique avait offert au premier ministre un maillot de bain. C’était un petit maillot, genre Speedo, floqué d’une feuille d’érable, symbole qui paraissait d’emblée plus approprié que la fleur de lys ou la feuille de vigne. Une photographie avait circulé de cette délicate offrande faite au pouvoir.

Bourassa avait la réputation de commencer ses journées en s’imposant la discipline d’un entraînement de natation. Son apparente insubmersibilité en politique tenait-elle à la pratique de ce rituel quotidien ? Sa politique, en tout cas, globalement attentiste, semblait toujours flirter avec la noyade du laisser-faire. L’irrésolution, chez lui, devenue un trait fort de l’exercice de son pouvoir, était perçue par ses admirateurs comme le fait d’un fin stratège, tout comme sa capacité à ne jamais répondre aux questions était confondue, aux yeux des mêmes, avec l’expression d’un sens original de la persuasion. Je suppose que Louis Garneau, jeune homme d’affaires, loin encore de l’horizon de la faillite qui s’est dessinée devant lui ces jours-ci, aurait aimé pouvoir flotter presque indéfiniment comme lui sur toutes les eaux.

C’est sous ce curieux exercice du pouvoir par Bourassa que Mario Dumont avait commencé à se mouiller en politique provinciale, avant de préférer prendre plutôt pour guide Jean Allaire, puis de lancer l’ADQ, l’ancêtre direct de la CAQ de François Legault. Dumont a continué de prêcher du côté des médias de Québecor, lesquels servent désormais de caisse de résonance à ses propos.

Spécialiste des phrases cinglantes, Mario Dumont a soutenu, ces derniers jours, que les insurgés de la barricade levée par la police à Saint-Lambert avaient laissé derrière eux des « vidanges », le fait le plus éclatant disait-il de ces « petits crottés ». C’est bien le qualificatif qu’il a employé : « petits crottés ». De la part de quelqu’un qui ne s’est jamais montré spécialement empressé à défendre des mesures environnementales, il y a bien là quelque chose de loufoque. Pareille giclée de paroles en l’air fait un peu songer à la manière de Donald Trump, qui jugeait bon par exemple d’accuser Bill Clinton de prédations sexuelles, quitte à oublier, ce faisant, sa propre grossièreté pourtant autrement mieux documentée.


 

Et voici que le même Mario Dumont, comme d’autres de son clan, s’est mis à clamer ces jours derniers que Bernie Sanders constitue en quelque sorte un danger public pour l’Amérique. Pour quel motif ? Parce que Sanders serait « un vieux politicien avec de vieilles idées », dit Dumont. Des idées qui rappellent, selon ses propos, l’époque des « pantalons pattes d’éléphant », c’est-à-dire les décennies 1960-1970, l’époque forte de la social-démocratie qu’il réduit ainsi à un style vestimentaire « passé date ». L’habit politique dans lequel Dumont se vêt quant à lui date de la décennie suivante, avec Margaret Thatcher et l’arrivée de Ronald Reagan. Dumont a souvent répété admirer l’étoffe de la « dame de fer », même si, dans les faits, ses idées peuvent aussi faire penser à celles d’un Camil Samson qui ne chuinte pas.

Au cours de sa carrière politique, Dumont a constamment plaidé en faveur de la privatisation du système de santé, un modèle qui s’est enraciné aux États-Unis avec les résultats que l’on sait : inégalités profondes, multiplication des laissés-pour-compte, appauvrissement des plus pauvres. Il y a quelque chose du duplessisme dans cette approche. Duplessis répétait que la meilleure assurance contre la maladie était la santé. Il réduisait ainsi tous les maux collectifs à des questions de responsabilité individuelle, comme le font ses héritiers baignés d’une sauce Thatcher. Voici précisément le type de raisonnements déshonorants contre lesquels se bat Bernie Sanders depuis cinquante ans.

Quand on y regarde bien, le programme en matière de santé de Sanders n’est guère différent de celui qui a conduit à l’assurance maladie instaurée par Robert Bourassa, au nom des effets positifs globaux de pareilles mesures « socialistes ». Nous partions de loin en matière de santé, comme ne cessait de le rappeler René Lévesque. Sommes-nous prêts à y retourner, au nom du simple plaisir de jeter aux vidanges de « vieilles idées » ?

Mais qu’est-ce que peut bien vouloir dire, d’ailleurs, ce qualificatif de « vieilles idées » ?

Quand les États-Unis toussent, dit-on, le Canada attrape le rhume. Et on voit désormais que, lorsque quelques esprits aux États-Unis promettent des conditions de santé meilleures au gros de leur population, quelques individus d’ici, habités de l’esprit de Reagan, se mettent à faire de la fièvre et à dénoncer le « socialisme », comme s’il s’agissait de refonder l’URSS, alors qu’il n’est question que de justice et d’équité pour tous.

À Gatineau, la conseillère municipale Nathalie Lemieux est pressentie comme candidate à la mairie de la quatrième ville en importance du Québec. Elle continue, sans faillir, de refuser d’admettre que la Terre est ronde. C’est une vieille idée que d’affirmer qu’elle l’est. « Dans la vie, dit-elle, tout est une question de croyances. » Et d’ajouter : « On croit certaines choses parce qu’un jour on l’a entendu. » Qui donc a-t-on trop écouté, pourrait-on se demander, pour finir par se persuader, contre la raison même, que la Terre est plate ou qu’une population laissée à elle-même en matière de santé constitue une avancée ?

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