Bonjour déficits

Le ministre des Finances, Bill Morneau, a tenté vendredi de rassurer les Canadiens. Son gouvernement ne lésinera pas sur les moyens pour lutter contre tout ralentissement économique provoqué par une pandémie liée au coronavirus. Mais en admettant qu’il nage lui-même dans l’inconnu concernant l’impact économique éventuel de la propagation de la maladie COVID-19 au Canada, le ministre aura fini par contribuer au climat d’incertitude qui mine la confiance des marchés.

« Ces éléments ne peuvent être connus tant qu’ils ne sont pas connus, a déclaré M. Morneau dans un discours prononcé à Toronto. Notre gouvernement prévoit toute éventualité. »

La décision, cette semaine, de la Banque centrale américaine de baisser son principal taux d’intérêt de 50 points de base — et celle, le lendemain, de la Banque du Canada d’emboîter le pas — laisse toutefois croire que les autorités monétaires se préparent au pire. La dernière fois que la Réserve fédérale américaine a procédé à une baisse d’une telle ampleur, en 2008, l’économie mondiale était au bord du précipice. Serait-ce aussi le cas aujourd’hui ?

Après plus de 10 ans de croissance économique, et une euphorie boursière qui avait poussé l’indice Dow Jones à un niveau record de près de 30 000 points le mois dernier, on devait s’attendre à ce que la fête prenne fin tôt ou tard. Mais personne n’avait prévu que l’élément déclencheur de la prochaine récession serait un nouveau virus qui confond les experts et qui sème la peur chez les citoyens. Les mesures déjà prises pour stopper la propagation du coronavirus en Chine, pays où la COVID-19 s’est manifestée pour la première fois en décembre dernier, et dans certains pays d’Europe, ont cette semaine amené l’Organisation de coopération et de développement économique à réviser à baisse ses projections de croissance pour 2020. L’organisation basée à Paris recommande que les pays membres du G20, dont le Canada, s’y préparent en adoptant des mesures fiscales coordonnées pour affronter la crise.

« Une épidémie plus durable et plus importante de coronavirus, qui se propagerait à la région Asie-Pacifique, l’Europe et l’Amérique du Nord, assombrirait considérablement l’horizon. Dans cette hypothèse, la croissance mondiale pourrait tomber à 1,5 % en 2020, la moitié du taux de croissance prévu avant la survenue de l’épidémie, a prévenu l’OCDE dans un rapport publié en début de semaine. Si les risques baissiers se matérialisent et si la croissance doit être beaucoup plus faible pendant une période prolongée, une action coordonnée des gouvernements du G20 et au-delà serait le moyen le plus efficace de restaurer la confiance, en assurant la mise en place de politiques de santé, de mesures de confinement et d’atténuation efficaces, en apportant un soutien aux économies à faible revenu, et en envoyant de manière concertée, un engagement à accroître les dépenses publiques nécessaires. »

Chez nous, une récession entraînera inévitablement une hausse du déficit fédéral. Et si Ottawa devait recourir à des moyens extraordinaires pour stimuler l’économie, comme c’était le cas en 2009, la facture risque d’être salée. Les taux d’intérêt étant déjà très bas, la Banque du Canada a beaucoup moins de marge de manoeuvre pour stimuler la croissance qu’en 2008. Tout porte à croire, donc, que la politique fiscale devra jouer un rôle plus grand cette fois-ci pour minimiser les dégâts causés par une récession. Or, les déficits de près de 100 milliards de dollars accumulés par le gouvernement Trudeau depuis quatre ans l’auront privé de la flexibilité financière dont il aurait joui s’il avait respecté sa promesse, faite en 2015, de recourir à des déficits « modestes » pendant deux ans avant d’équilibrer le budget en 2019.

Hélas ! Dans sa mise à jour économique de décembre, M. Morneau a prévu un déficit de 26,9 milliards pour l’année fiscale en cours, en hausse de 7 milliards par rapport au montant projeté dans le budget fédéral déposé en mars dernier. Même si l’augmentation du déficit fut en partie attribuable à une hausse des charges liées aux réévaluations actuarielles des régimes de retraite des employés fédéraux, plutôt qu’à une détérioration de la situation économique, il n’en demeure pas moins que les finances publiques fédérales se sont détériorées pendant une période de croissance économique, chose assez inédite. Si une récession frappe, le gouvernement Trudeau sera contraint de briser une autre promesse phare, celle de réduire d’année en année le ratio de la dette fédérale par rapport au produit intérieur brut.

Cette promesse avait déjà été remise en question en décembre dernier par le Bureau du directeur parlementaire du budget. « Les perspectives financières présentées dans la mise à jour économique et budgétaire ne respectent pas l’engagement du gouvernement de réduire la dette par rapport au PIB, car le gouvernement prévoit un ratio dette/PIB de 31,0 % en 2019-2020 et 2020-2021, supérieur à 30,8 % en 2018-2019 », a écrit le bureau dans un rapport.

Il va sans dire qu’en cas de récession provoquée par la COVID-19, les finances publiques fédérales en prendront pour leur rhume. Les promesses libérales aussi.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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