Remettre le Canada sur les rails

L’étoffe d’un chef se révèle dans les moments de crise. Ce n’est pas en se faisant photographier avec ses admirateurs qu’un politicien fait la preuve de sa compétence ou de son jugement. Ce n’est que lorsqu’il est appelé à gérer une crise d’ordre économique, social, éthique ou environnemental que sa vraie nature est mise en évidence.

Tout au long de cette semaine, le premier ministre Justin Trudeau a démontré une fois de plus qu’il perd ses repères lorsqu’il est confronté à une crise. Il tergiverse. Il patine. Il s’esquive. On a presque l’impression qu’il préférerait que les événements prennent le dessus, le dispensant de prendre toute décision ou d’entreprendre toute action qui pourrait mal tourner.

Vendredi, M. Trudeau a quelque peu monté le ton, sans conviction toutefois, en disant que « les barricades doivent être démantelées maintenant ». Mais il a semblé vouloir s’en laver les mains en ajoutant que la suite des choses est « de la responsabilité des Autochtones ». M. Trudeau ne peut pas se libérer aussi facilement de ses devoirs. D’ailleurs, en s’adressant aux journalistes à partir de la tribune de la presse à Ottawa, M. Trudeau cherchait à prendre ses distances par rapport à une crise qu’il a lui-même fait perdurer en laissant entendre qu’il était prêt à attendre une réponse à l’invitation de son gouvernement de s’asseoir à la table de négociation avec les chefs héréditaires de la nation wet’suwet’en qui s’opposent au gazoduc Coastal GasLink en Colombie-Britannique. Toute la semaine, M. Trudeau faisait appel à la patience. Vendredi, il a semblé avoir changé son fusil d’épaule. Qu’est-ce qui est arrivé ? A-t-il simplement lu des sondages indiquant que les Canadiens avaient déjà perdu patience ?

On ne peut pas non plus laisser le sort de la réconciliation avec les peuples autochtones dépendre de l’issue seule de cette crise, comme a semblé le faire M. Trudeau vendredi, lorsqu’il a dit : « Ce qui commence à être en jeu, c’est l’appui des Canadiens non autochtones pour cette réconciliation. » Il n’en est rien. Ce n’était pas digne de la part de M. Trudeau de brandir une telle menace.

L’opposition conservatrice n’a pas fait mieux que M. Trudeau cette semaine. En sommant le premier ministre d’ordonner à la GRC d’intervenir pour démanteler le blocus ferroviaire, le chef conservateur Andrew Scheer nous a rappelé pourquoi il n’est pas devenu premier ministre en octobre dernier. Sa recommandation est si déraisonnable et si irraisonnée qu’elle ne mérite pas la moindre considération.

Il n’y a pas de solution parfaite à la crise qui secoue le Canada. Mais si M. Trudeau ne veut pas se retrouver dans une situation semblable à l’avenir, il devrait rappeler certaines vérités pour que tout le monde sache que son gouvernement ne se laisserait pas manipuler par des gens qui exploitent la crise actuelle pour faire avancer des revendications qui leur sont propres.

L’opposition de quelques chefs héréditaires du peuple wet’suwet’en au gazoduc Coastal GasLink en Colombie-Britannique est devenue un prétexte pour certains groupes autochtones et non autochtones pour exprimer leur frustration de tout ce qui ne fait pas leur affaire dans ce pays. En guise de solidarité avec les chefs wet’suwet’en, qui sont eux-mêmes divisés sur le sujet, une poignée de gens insatisfaits ont pris en otage le pays tout entier.

S’il existe un projet énergétique qui jouit d’une acceptabilité sociale manifeste, c’est celui du gazoduc Coastal GasLink. Le projet a obtenu tous les permis nécessaires des gouvernements après un processus d’évaluation environnementale rigoureux. Le promoteur du projet est allé au-delà des exigences légales en consultant les bandes autochtones concernées, et il a obtenu l’appui de la vaste majorité d’entre elles. Il a aussi tenté à plusieurs reprises de parler aux chefs héréditaires récalcitrants ; ces derniers ont refusé de rencontrer ses représentants.

Les environnementalistes qui se joignent aux manifestants s’opposant à Coastal GasLink, dont certains veulent interdire toute exploitation des ressources naturelles, brouillent les cartes. La crise actuelle tient son origine dans un conflit interne concernant la gouvernance de la nation wet’suwet’en. Elle n’a rien à voir avec la lutte contre les changements climatiques. D’ailleurs, les installations de gaz naturel liquéfié à Kitimat, en Colombie-Britannique, que Coastal GasLink est destiné à desservir, visent à fournir à des marchés asiatiques une source d’énergie moins polluante que le charbon, dont dépend encore largement cette région du monde. C’est l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement néodémocrate de la Colombie-Britannique appuie ce projet, qui injecterait des milliards de dollars dans l’économie de la province en plus de fournir des emplois à des centaines de personnes autochtones. Et le développement économique est un sujet qui concerne tout autant les peuples autochtones que non autochtones du pays.

Malheureusement, ces vérités semblent avoir été occultées par des manifestants qui voudraient faire croire à la population qu’ils agissent dans l’intérêt du peuple wet’suwet’en. M. Trudeau doit remettre les pendules à l’heure. De belles paroles ne suffiront pas. Mais si M. Trudeau faisait l’effort d’expliquer aux Canadiens la démarche qu’il compte suivre pour remettre le Canada sur les rails, il ferait beaucoup de bien, et pas juste à sa propre carrière politique.

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