Décortiquer Oscar
Je n’aime pas le cinéma américain. Je le trouve généralement tapageur, conformiste et commercial, même quand il affiche des prétentions artistiques. J’ai choisi, depuis ma jeunesse, de lui opposer une résistance politique. Je refuse la colonisation de mon esprit par un univers étranger qui tente de faire passer ses préoccupations particulières, et souvent intéressées, pour des enjeux universels.
Au Québec, l’an dernier, presque 80 % des films projetés sur nos écrans de cinéma étaient américains. C’est déplorable. Que dirait-on de notre santé collective si on apprenait que 80 % des aliments ingérés par les Québécois provenaient des chaînes de restauration rapide américaine ?
Je sais bien, par ailleurs, que le cinéma américain produit des films de qualité — ceux de Terrence Malick, par exemple, de Kathryn Bigelow ou de Sam Mendes, quand il lâche James Bond —, mais ce sont des pépites noyées dans le toc qui les entoure. Je reste donc convaincu que si ce cinéma s’impose ici comme un peu partout dans le monde, ce n’est pas grâce à sa qualité, mais pour des raisons financières.
L’essayiste de gauche Claude Vaillancourt, qu’on ne peut soupçonner d’entretenir des sympathies pour l’American way of life, ne cache pourtant pas son penchant pour les films américains. Il avance, pour se justifier, une bonne raison. « Les liens avec la politique sont nombreux, variés et complexes dans le cinéma hollywoodien, écrit-il. L’actualité revient avec constance dans beaucoup de films, réinterprétée de multiples façons. Sûrement plus que d’autres cinématographies, le cinéma des États-Unis se greffe à l’histoire réelle et présente, par ces nombreux faits authentiques que les réalisateurs reprennent. » C’est vrai et c’est très attirant pour un public cultivé en quête de réflexions politiques et historiques. Il reste à savoir, maintenant, quelle vision du monde propagent ces films qui se frottent à de grands sujets.
Dans la nouvelle édition d’Hollywood et la politique (Écosociété, 2020, 184 pages), Vaillancourt reprend, pour l’essentiel, ses thèses de l’édition de 2012, auxquelles il ajoute quelques mises à jour. Présenté comme « une méthode d’autodéfense intellectuelle […] appliquée au cinéma », cet essai fournit aux cinéphiles une grille d’analyse critique à la fois simple et efficace. La méthode proposée est si stimulante qu’elle donne le goût de regarder des films américains pour avoir le plaisir de les critiquer intelligemment.
Les films politiques américains, note Vaillancourt, cherchent à véhiculer un message, tout en étant soumis à des objectifs commerciaux. Dans ce contexte, peut-on croire à la liberté des créateurs ou doit-on conclure à leur embrigadement « au service de ceux qui [les] financent » ? Vaillancourt classe les films politiques (qui incluent les sujets sociaux), des années 1980 à aujourd’hui, en trois grandes catégories : le cinéma du statu quo, celui du questionnement et le cinéma subversif.
Du statu quo à la subversion
Les films de la première catégorie, on le devine, reproduisent le discours du pouvoir et les valeurs conservatrices. Patriotiques — Rocky IV, Forrest Gump —, ils présentent les États-Unis comme un pays juste et rassurant, protecteur de l’ordre mondial, grâce à ses héros. Les films de superhéros constituent une variation médiocre de ce combat du Bien contre le Mal, mené par des élites violentes au service du peuple. Le cinéma catastrophe, qui sert à justifier un État fort sur les plans policier et militaire, et le cinéma de placement de produits, dont le modèle par excellence est la série James Bond, confortent eux aussi le statu quo capitaliste.
Ce que Vaillancourt appelle le cinéma de questionnement regroupe des films qui formulent des critiques du système américain sans toutefois le remettre fondamentalement en cause. Avatar, de James Cameron, raconte l’histoire d’une grande compagnie qui envahit brutalement un territoire occupé par des autochtones pour l’exploiter, mais c’est le héros américain solitaire qui finit par sauver les bons et naïfs Na’vis. Le système américain a des ratés, suggèrent ces films, mais contient en lui-même ses remèdes, quand il renoue avec son bon fond.
Le cinéma subversif, enfin, plus rare, est celui qui conteste plus radicalement les fondements idéologiques néfastes des États-Unis. Vaillancourt donne l’exemple du documentariste Michael Moore qui, malgré sa démagogie, accuse frontalement le capitalisme.
Le cinéma américain se félicitera encore, demain soir, d’être le meilleur au monde. Nous ne sommes pas obligés de le croire. Il vaut mieux trouver notre plaisir dans la lucidité critique à son égard, en nous inspirant de l’éclairant guide conçu par Vaillancourt. Ça nous donnera peut-être le goût, avantage supplémentaire, de fréquenter plus assidûment notre propre cinéma.